Matière à paysage à la Galerie, Noisy
Matière à paysage
par Raphaël Brunel
Loin d’une actualité artistique étouffée par le spectacle du faste et les excès de la spéculation, la Galerie de Noisy-le-Sec expose des œuvres où se dessinent les paysages de la réalité, renouant avec les enjeux de l’entropie énoncés par Robert Smithson.
Inscrite sur le parcours de la Biennale Art grandeur nature, l’exposition en détourne la thématique axée sur les manières d’habiter la ville. Plutôt que de décliner les termes chers à la géographie urbaine, elle démantèle l’architecture pour en isoler les composants. Ainsi Lara Almarcegui dresse un portrait métrique de la Galerie qui repose non plus sur ses dimensions mais sur le poids des matériaux qui la compose. Malgré son apparence conceptuelle, l’œuvre donne à éprouver physiquement la structure architecturale. L’aspect concret d’œuvres composées de parpaings, pavés ou poussières renforce la dimension phénoménologique d’une exposition préférant le processus à l’achèvement.
Austère, à la fois rugueuse et élégante, « Matière à paysage » avance un territoire qui oscille entre chantier et champ de ruine, recto-verso d’une dynamique où disparition et devenir se confondent. Loin d’être réduites aux éléments d’un catalogue de bricolage, ces œuvres semblent traversées par la volonté d’animer la matière. La tête dans le guidon, Beat Lippert se lance dans le classement par décigramme de pierres récupérées dans un site de concassage de gravier. Présentée comme une vitrine archéologique, cette organisation absurde esquisse un paysage montagneux qui renvoie le produit manufacturé à son origine. La manie de la rationalisation est également chahutée par Gyan Panchal qui superpose les éléments du tableau de Mendeleïv, rendant la formule indéchiffrable et caduque la volonté d’ordonner le monde.
Si le chaos se profile, les œuvres s’appréhendent plutôt comme des mondes autonomes, semi-organisés évoluant comme des organismes. En témoigne la galaxie de poussières que met en branle le compresseur de Vincent Ganivet et qui produit à chaque démarrage une cosmogonie nouvelle. L’aléatoire définit aussi, à partir d’un programme informatique, la forme des chaises des architectes d’EZCT. L’organique et le biscornu l’emportent ici sur le fonctionnalisme et le rationalisme. Proliférante enfin, la mare de pavés goudronnés de Katinka Bock évoque la dimension sociale et politique de la ville.
Les œuvres se révèlent à la fois productrices d’un territoire singulier et témoins, par les matières utilisées, d’un paysage existant avec son histoire et ses symboles. Cette ambivalence se révèle notamment dans la signalétique mise en place dans la ville par Angela Detanico et Rafael Lain. Leur écriture faite de blocs de parpaings superposés évoque le pavillon Coignet de la cité expérimentale du Merlan qu’ils transforment en phare urbain, à la fois repère et source de peur. Quelques mètres plus loin, Katinka Bock s’amuse de la rouille du pavillon Brissonneau en réalisant une fontaine qui récolte l’eau de pluie.
A une ville résultat des fictions urbanistiques et politiques s’opposent ainsi des œuvres en mouvement, sûres de la précarité de leurs formes, dont l’incertitude évoque moins les Earthproject de Smithson que les non-lieux et les friches de l’urbanité, ces zones palpables de vacuité où le temps agit en roi.
« Matière à paysage » à la Galerie, Centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec 20 septembre – 23 novembre
avec Lara Almarcegui, Katinka Bock, Angela Detanico & Rafael Lain, EZCT Architecture & Design Research, Vincent Ganivet, Beat Lippert, Gyan Panchal.
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- Du même auteur : Rentrée : Mode d'emploi, Melik Ohanian,
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