r e v i e w s

Theresa Traore Dahlberg à la galerie Andréhn-Schiptjenko, Paris

par Juliette Belleret

25.01.2024 -> 16.03.2024

Ce sont un oiseau de bronze et son double qui nous reçoivent en premier à l’entrée de l’exposition IDRIX III, la première exposition personnelle de Theresa Traore Dahlberg à la galerie Andréhn-Schiptjenko à Paris. Les deux oiseaux sont identiques (Idrix III, 2023), à l’exception des multiples empreintes laissées à dessein par les doigts, par les mains qui les ont produits dans une fonderie au Burkina Faso et celles qui les ont emmenées jusqu’ici. 

Ces traces invitent sous nos yeux les gestes passés du moulage, du façonnage, auxquels on superpose l’image d’un passage de main en main – non pas des sculptures, mais des multiples récits qui leur ont précédé, des fables à propos de l’oiseau Senufo, figure protectrice dont l’artiste propose ici une représentation futuriste. Une image de la transmission qui provient peut-être aussi de l’histoire des sculptures Hakilis (The Hare VIII et VIIII, 2024), des figures de lièvres également empruntées aux contes folkloriques burkinabés rapportés par la grand-mère paternelle de l’artiste, mais leur forme allongée fut trouvée pour la première fois dans un musée suédois, pays où Theresa Traore Dalberg a grandi et où elle vit aujourd’hui. L’artiste choisit de reproduire les silhouettes des lièvres de mémoire, comme on recomposerait un récit porté de bouche à oreilles depuis des décennies.

Theresa Traore Dahlberg, Installation view, Idrix III at Andréhn-Schiptjenko Paris, 2024, Courtesy of the Artist and Andréhn-Schiptjenko, © Alexandra de Cossette

Dans le passage à la sculpture, à la matière toujours extraite d’un contexte socio-géographique précis, s’opère une autonomisation de ces figures fabulaires. Dès lors qu’elles sont incarnées, elles prennent en charge des récits contemporains et des possibles sémantiques tissés dans la présence croisée des œuvres exposées. Les empreintes digitales qui parcourent les bronzes produits au Burkina Faso font ainsi étrangement écho aux traces nombreuses et mêlées qu’ont laissées des roues passées dans la terre d’un désert, traces capturées par les photographies Red Soil et D’ici (2022).

Quelque chose de ces traces multiples persiste encore dans le second espace d’exposition : si l’on tourne autour de la grande installation Coppers (2024), notre regard est attrapé par la lumière qui filtre dans les interstices du cuivre et du coton qu’on y a greffé, brodé à la main. Il s’agit de fines cartes de circuits informatiques produites dans une usine en Suède qui appartenait à la famille de l’artiste. Ces cartes aujourd’hui obsolètes sont reprisées par les mains d’une communauté de femmes burkinabées qui, soupçonnées de sorcellerie, ont été ostracisées et ont organisé pour leur autonomie une chaîne de production de coton. 

Deux matériaux du rebut entre lesquels le dialogue s’établit dans deux installations ici, mais qui traversent plus largement la pratique de l’artiste dans des œuvres et des installations multiples. A chaque fois, le travail plastique et la scénographie s’emploient à faire apparaître ce qui les relie, outre l’intime d’une histoire personnelle, dans une réflexion géopolitique, dans une observation sociétale à la fois très ancrées et au potentiel universel. Ce sont là des sujets prégnants dans la pratique de réalisation de films documentaires et expérimentaux pour lesquels Theresa Traore Dahlberg est davantage reconnue, ayant notamment remporté le prix Tempo Documentary Short Award pour son film The Ambassador’s Wife (2018).

Theresa Traore Dahlberg, Installation view, Idrix III at Andréhn-Schiptjenko Paris, 2024, Courtesy of the Artist and Andréhn-Schiptjenko, © Alexandra de Cossette

Le troisième et dernier espace d’exposition est ainsi consacré à l’installation Glass Capsule (2024), où le coton et le cuivre ont été incorporés au verre soufflé. Les teintes les plus foncées sont dues à la carbonisation du coton sous la chaleur du verre ; tandis que le cuivre produit tout un spectre coloré qui varie selon les températures appliquées. L’installation mêle des bobines entières de coton et plusieurs verres qui évoquent autant d’ogives, signalant malgré leur dimension très esthétique la présence d’une violence contenue, dont on garderait les traces calcinées en un objet fait pour être regardé –  comme s’il s’agissait d’attirer l’attention, au moment où 170 personnes ont été exécutées dans des attaques de 3 villages burkinabés le 25 février.

1 Également présenté au Festival international du film de Toronto (TIFF), à la Semaine de la critique de Berlin, au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand et au Festival du film de Telluride.
2 Source : annonce du procureur de Ouahigouya (Nord) dans un communiqué publié dimanche 3 mars, relayé par Le Monde

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Head image : Theresa Traore Dahlberg, Installation view, Idrix III at Andréhn-Schiptjenko Paris, 2024, Courtesy of the Artist and Andréhn-Schiptjenko, © Alexandra de Cossette