r e v i e w s

Sélest’Art, 20e biennale d’art contemporain de Sélestat

par Ingrid Luquet-Gad

Sélestat, du 21 septembre au 27 octobre 2013.

Dès qu’il est lancé, le terme de « biennale » ne tarde pas à faire surgir à sa suite tout un cortège de néologismes ronflants, en tête desquels le déjà galvaudé « biennalisation ». Si l’accroissement exponentiel du nombre de biennales depuis les années quatre-vingt-dix est un phénomène indéniable, un certain fétichisme du Zeitgeist en a conduit certains à y voir le symptôme d’une société du spectacle globalisée. La biennale de Sélestat, plus ancienne, a été fondée en 1984, concomitamment à la création des Frac dont on célèbre cette année les trente ans, et demeure en marge du circuit international.

Il apparaît à ce titre pertinent de la part des commissaires de cette vingtième édition, Marc Bembekoff et Julien Fronsacq, d’avoir choisi de s’intéresser au thème du monument dont ils entendent proposer « une définition étendue et décloisonnée […], rappelant ce que le commémoratif comporte de festif », une définition qui en engloberait alors également les occurrences immatérielles. À première vue énigmatique, le titre, Sletto & Corso, souligne ce parti pris. Ce sont les aspects mythiques et folkloriques de Sélestat qui ont été retenus afin de circonscrire l’identité de la ville plutôt que ses vestiges historiques : il est fait référence, d’une part, à la légende de la fondation de la ville par un géant nommé Sletto et, d’autre part, à la tradition du corso fleuri, un défilé de chars annuel célébrant la culture locale du dahlia.

Pour l’édition 2013, dix-neuf artistes sont présents à travers onze lieux de la ville, depuis les espaces attendus ou consacrés comme le Frac ou le château du Haut-Koenigsbourg, jusqu’à d’autres plus inattendus, à l’exemple d’un rond-point ou des panneaux d’affichage municipal. À travers les choix curatoriaux, la volonté d’ un « effet de biennale », au sens où Roland Barthes a pu parler d’ « effet de réel », se profile assez nettement [1] : en effet, à une échelle restreinte et en dépit des contraintes matérielles évidentes, ne manquent ni la partie historique (Franz West), ni l’ancrage local (Jean Claus) ni même l’exposition collective, consacrée au thème de l’usage du monument (au Caveau Sainte-Barbe, avec Nicolas Cilins, Jeremy Deller, Tom Holmes, Tom Nicholson, Amy O’Neill, Renata Poljak et Andreas Slominski). Les habitués des circuits internationaux dont Valentin Carron, Jeremy Deller, Adrien Missika ou encore Raphaël Zarka, y côtoient de tout jeunes artistes parmi lesquels Tony Regazzoni et Sarah Deller, ayant tous deux réalisé des pièces in situ qui constituent deux belles surprises du parcours. Quant à la procession organisée à l’initiative des commissaires le jour du vernissage et dont quatre chars repeints en blanc font office de « cimaises flottantes », elle ramènera peut-être à l’esprit de l’arpenteur patenté de biennales le souvenir des parades de carnaval organisées par Claire Tancons [2].

Un spectre étendu donc, mais qui a pour contrepartie de délayer le propos. Et c’est là le principal reproche que l’on peut adresser à cette édition de la biennale. Si la sélection est pointue et le panorama complet, les interventions semblent parfois isolées, englouties par leur environnement, tout comme certaines pièces se retrouvent fragmentées entre plusieurs lieux, ce qui n’entrave pas le plaisir de la rencontre fortuite avec chaque œuvre prise isolément mais rend l’articulation théorique sous-jacente plus difficilement lisible, nous laissant en cela un peu sur notre faim. La difficulté est inhérente à la forme de la biennale qui impose à la présentation des œuvres dans l’espace public de se draper dans d’élaborés atours conceptuels ; une exigence parfois difficile à respecter dans le cas d’événements de taille plus modeste.

  1. Marc Bembekoff et Julien Fronsacq à propos de la spécificité du format biennale : « Plus qu’une présentation d’œuvres en espace public, la biennale de Sélestat constituait pour nous l’occasion d’une exposition articulée en différentes parties. Ce que nous devons au format de la biennale, c’est le principe d’une exposition accessible et comportant de multiples entrées. » (entretien par mail)
  2. Claire Tancons a été commissaire de la biennale de Gwangju (2008), commissaire invitée de la biennale de Cape Town (2009) ou encore de la biennale de Göteborg (2013). Elle a été remarquée pour les performances processionnelles qu’elle y a organisées, flirtant par là avec le geste d’artiste.