r e v i e w s

Noémie Goudal

par Vanessa Morisset

Post Atlantica.

Le Grand Café, Saint-Nazaire, 10.10.2021 – 02.01.2022.

Dans quelle époque sommes-nous projeté·e·s lorsque nous regardons les œuvres de l’exposition « Post-Atlantica » de Noémie Goudal ? Essentiellement axées sur la nature, elles nous invitent au cœur de paysages forestiers luxuriants ou le long de littoraux de roches blanches doucement érodées. Elles tendraient presque à nous convaincre que le Grand Café de Saint-Nazaire est devenu une machine à remonter le temps, dont les hublots s’ouvrent sur la Terre à une ère primitive. À travers un prisme surprenant donc, qui se laisse vite saisir comme un travail sur l’illusion que construisent des truquages apparents : du point de vue technique, l’univers de la jeune artiste évoque moins Jurassic Park que le Voyage sur la Lune de Méliès. Ses photographies et, plus encore, ses vidéos juxtaposent des strates temporelles éloignées : la nôtre bien sûr – puisque nous sommes là et que toutes les œuvres datent de 2021 – mais aussi d’autres temporalités, fascinantes, voire exotiques, telles que la préhistoire – que l’artiste aborde grâce aux recherches actuelles en paléoclimatologie – ou que les débuts du cinéma. Chez Noémie Goudal, la remontée aux sources scientifiques de l’histoire de la nature se fait de pair avec une remontée aux sources de la reproductibilité mécanisée des images. Les œuvres exposées sont autant inscrites dans une réflexion écologique que délibérément ludiques et grinçantes. Comme si la poulie servant à remonter les décors d’un plateau de tournage se mettait à se faire bruyamment remarquer.

Pièce exemplaire de cette direction prise récemment par l’artiste, Inhale Exhale est un film qui rapproche d’une manière improbable les grosses machines à produire de l’illusion du cinéma et la nature verdoyante à foison. Il pourrait rappeler les univers cinématographiques de traversées de jungle où la nature est au premier plan – qu’on pense à La Ligne rouge de Terrence Malik ou à The Lost City of Z de James Gray –, car le plaisir pris à contempler la végétation y est le sujet principal. Mais ce plaisir est rapidement tourné en dérision par de grosses ficelles apparentes. Réalisé dans une forêt, le film est animé par les montées et descentes d’éléments végétaux en trompe-l’œil : des photographies imprimées sur de grandes bâches qui viennent se glisser dans la verdure réelle grâce à une équipe de technicien·ne·s hors-champ. La forêt devient une scène pour l’activation de décors. En somme, la nature est un théâtre.

La même impression d’être pris·e au piège de sa propre fascination pour les paysages est savamment préméditée dans un autre film, Below the Deep South. On y voit une forêt tropicale brûler, dans un bruit de feu crépitant. Des morceaux partent en lambeaux, mais de quoi au juste ? Sont-ce des bouts de végétation ? Ce ne seront finalement que des lambeaux d’images…

Noémie Goudal, Study on Perspective III, 2021. Installation : dimensions variables

D’autres œuvres, photographiques cette fois, rappellent à quel point cette technique est à la base de la pratique de Noémie Goudal. Comme toujours chez elle pourtant, la technique est revisitée par le biais de manipulations artisanales, presque désinvoltes par rapport aux infinies possibilités des logiciels de retouche. Dans la série intitulée « Décantation », un paysage de roches de bord de la mer semble s’éroder d’image en image, comme si l’artiste avait pu assister à un processus géologique en accéléré… Mais ce sont les parties qu’elle a effacées, paradoxalement rendues très visibles, qui créent cet effet. Dans la série « Phoenix », des palmiers ont été photographiés en studio dans un éclairage nocturne, comme au clair de lune. Les photographies ont ensuite été découpées en fines bandelettes puis collées les unes aux autres avant d’être photographiées de nouveau. Le processus est répété plusieurs fois jusqu’à se faire confondre images et feuillages. À rebours de la tradition du collage et du photomontage, qui cherche à provoquer l’œil des spectateur·trice·s par des rapprochements détonants, le collage se fait ici camouflage et, inversement, le camouflage se fait collage. L’un révèle l’autre et, même, nous, face à ce paysage dont on ne sait plus s’il est naturel ou artificiel. Que voyons-nous vraiment ?.

Enfin, l’exposition présente une installation, Study on Perspective III, qui explore encore plus en amont la question de la fabrication du paysage au cinéma et résume en quelque sorte le propos d’ensemble. Mise en scène d’éléments destinés à créer une illusion d’optique à la manière de la célèbre œuvre de Marcel Duchamp, Étant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage, cette installation renvoie aux dioramas et aux paysages construits à l’époque d’un proto-cinéma artisanal, avant l’avènement de l’industrie du spectacle.

Les œuvres de « Post Atlantica » – le mot désigne la séparation des continents creusée par l’océan Atlantique, rendant le titre évocateur d’un exotisme temporel, d’un temps long de la géologie dont nous sommes la queue de comète –, font finalement ressentir une mélancolie d’une innocence perdue, autant face à la nature qu’aux spectacles illusionnistes qui, à l’époque de Méliès, rendaient tout le monde joyeux.

. . .

Image en une : Vue de l’exposition / Exhibition view of Post Atlantica, Grand Café – centre d’art contemporain 2021, Photo: Marc Domage