r e v i e w s

Laurent Faulon, Idéal Standard

par Andréanne Béguin

Centre d’art de l’Onde
03.12.2022 au 19.02.2023

L’exposition monographique de Laurent Faulon est gardée par un cerbère inoffensif et festif. 3 BRO est un chien en céramique dont les têtes amovibles sont moulées sur des masques de farces et attrapes, propose des bonbons aux visiteurs. L’œuvre qui agit comme un préambule malicieux rassemble des détails empruntés aux deux installations qui composent l’exposition : les bonbons font référence aux produits de consommation dispersés dans Ensemble, et la céramique fait écho aux vasques qui composent Idéal Standard. Cette première installation inédite, créée pour le Centre d’art, emprunte son titre à une marque de lavabos existante, dont les formes industrielles et standardisées sont ici reprises, et moulées, travaillées à la main avec de la faïence émaillée. Détachés de toute fonctionnalité, ces quinze lavabos se dressent dans l’espace, disposés de façon répétitive, assumant leur fragilité et leurs imperfections, comme un jeu de quille en suspension. Le choix pour cet objet lavabo, par le point d’eau qu’il incarne, fait un pont entre l’atelier de l’artiste, qui y revient pour rincer ses outils, et les chaines de productions industrielles dans lesquelles l’eau fait partie des process de production. C’est également une référence au ready-made de Marcel Duchamp, puisque l’un des lavabos est un bidet, rappelant Fontaine. Cette installation est entourée de portes serviettes métalliques, posés au mur, recouverts de serviettes blanches, parfois immaculées, parfois tâchées de terre. Entre serviettes et lavabos se crée alors une atmosphère faussement aseptisée, qui laisse entrevoir le travail de la main, la manipulation de la matière par l’artiste, mais également par le public. Ces serviettes ont en effet permis aux participants de l’Atelier du Père Noël de s’essuyer les mains après les ateliers de modelage. Comme un double clin d’œil, au studio de l’artiste et à la fête commerciale qu’est devenue Noël, ces ateliers invitent le public à modeler 12 kilos de terre par personne, en une forme choisie, celle d’un objet de consommation rêvé pour Noël. Ces créations du public articulent trois temporalités et sont un trait d’union avec l’autre installation Ensemble, actualisée pour l’occasion. Elles représentent d’abord un travail de production dans l’exposition, puis font l’objet d’une présentation sur les festen Tisches avant de devenir des objets-souvenirs rendus aux créateurs. L’exposition laisse alors apparaître des mouvements et des flux d’une installation à l’autre, d’une temporalité à l’autre, et également de l’artiste au public. En effet, un déplacement de la performance s’opère vers le public, qui dans la rencontre avec la matière, la physicalité de l’exercice, déploie une série de gestes pouvant devenir une chorégraphique fortuite.  

Ensemble, la deuxième installation, créée initialement en 2009 dans le cadre d’une commande publique du Fonds Cantonal d’art contemporain de Genève, est renouvelée ici, faisant coexister ces productions en terre des ateliers avec les composantes originelles de l’installation que sont une vingtaine de table rectangulaires pour six à huit personnes, recouvertes de nappes en plastique bleues électriques, surmontées d’objets de la grande consommation (Ketchup, céréales, sodas, Eau de javel, nourriture pour chiens, …). Par une analogie de formes et de reliefs ou au contraire par pur hasard, ces packs de biens consommables se retrouvent associés aux créations des participants, donnant lieu à une narration spontanée et libre, personnelle à chacun. 

Laurent Faulon, Idéal Standard, Centre d’art de l’Onde, 2022. © Salim Santa Lucia

Ces grandes tables accompagnées de leurs bancs, traditionnellement celles utilisées pour les fêtes populaires de la bière en Allemagne ou en Suisse, sont alignées de façon méthodique et autoritaire. Elles partagent avec les lavabos cette ressemblance de disposition dans l’espace, entre grilles et quadrillages, qui n’est pas sans rappeler un ordonnancement industriel ou militaire, que viennent chambouler tous les détails de factures, les anomalies, les bosses, les creux, les fissures. Autant de glitch qui perturbent la vision d’ensemble archétypale et normative propre à la standardisation capitaliste. Aux moments d’attente et de veille industrielle, comme celle du stockage, s’oppose cette vitalité du dérèglement de l’uniformisation et de l’insoumission à la standardisation. Chaque élément possède en soi cette ambivalence et cette tension oxymorique et la résistance à la sérialité se retrouve dans chaque geste, dans chaque contour, dans chaque couleur. En effet, les couleurs criardes et cheap décidées par le marketing de la grande consommation entrent en collision visuelle avec les couleurs organiques, naturelles, charnelles des lavabos et des créations modelées. 

L’exposition est nourrie et animée par une réflexion profonde sur les modes de production et de consommation, qui traverse toute la pratique de Laurent Faulon. Il dessine ici une critique piquante de la surconsommation, en résonance avec le contexte temporel de l’exposition marqué par les fêtes de fin d’année, mais aussi celle des lieux d’art. À rebours, des logiques d’enfermement élitistes, l’artiste investit l’espace du centre d’art, avec simplicité et humilité, laissant derrière lui les hiérarchies des objets et des artefacts, pour généraliser l’accessibilité et la familiarité du centre d’art. 

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Head Image : Laurent Faulon, Idéal Standard, Centre d’art de l’Onde, 2022. © Salim Santa Lucia