La grâce de la nonchalance
Robert Breer
Dans l’exploration des rythmes contrastés, Robert Breer excelle. Son appétence envers l’expérimentation et l’innovation semble être inscrite dans ses gènes : alors qu’il était enfant, son père mit au point le châssis automobile de la Chrysler Flow, premier du genre, basé sur des principes aérodynamiques. Né en 1926 à Détroit, dans le Michigan, l’artiste n’a cessé, tout au long de sa carrière, d’allier invention et création avec une passion frénétique pour tout ce qui produit des phénomènes déroutants. Dans les années cinquante, folioscopes, thaumatropes, mutoscopes et autres appareillages du précinéma vont devenir chez lui l’objet d’un véritable engouement. Il va alors abandonner sa pratique picturale, d’influence néoplastique, pour se consacrer à sa potentielle animation, déclarant : « je peignais environ un tableau “concret” par semaine et il m’est venu à l’esprit qu’il était contradictoire de pouvoir créer autant d’absolus ».
Formes abstraites déconstruites alliant montages, collages et recadrages vont participer à l’élaboration d’une quarantaine de films dont la constante sera cette vitesse enlevée, compressée, toujours plus urgente, toujours plus rapide. Mais à l’accélération, Breer ne craindra pas d’opposer la décélération dans ses sculptures qu’il nommera Floats en référence aux balises en mer mais aussi aux chars des défilés et autres parades. Des sculptures aux formes abstraites, taillées dans des plaques de polystyrène, des blocs de mousse ou de résine, dont la première date de 1965. En 1966, lors de la foire d’Osaka pour laquelle l’association EAT — Experiments in Art and Technology —avait construit le fameux Pavillon Pepsi, Robert Breer installait à l’extérieur du dôme géodésique ses sculptures autopropulsées. Elles évoluaient nonchalamment… à la vitesse d’environ 15 centimètres à la minute. Si à cette époque contemporaine de l’euphorie des formes minimalistes les Floats ne rencontrent pas vraiment de reconnaissance, elles sont devenues depuis des pièces emblématiques de cet électron libre à la production au pas décidément de côté. Dans la nef centrale du CAPC de Bordeaux, c’est plus d’une trentaine de sculptures qui se déploient au sol. L’espace semble conçu pour ça, permettant une approche latérale comme une vue plongeante sur ce qui s’apparente à un grand bal immobile. Imperceptiblement, jonchées sur leurs petites roues invisibles, les Floats s’élancent au ras du sol, sans que l’on s’en aperçoive vraiment, si ce n’est au bout d’un instant. Datant pour la plupart des années soixante et deux mille, période de leur réapparition sur la scène new-yorkaise, elles présentent toutes des formes simples mais incongrues. Planes, de type hard-edge, en forme de calottes, de colonnes, de cimaises, de couvertures ou de troncs de cônes terminés par une demi-sphère, elles se meuvent, inéluctablement. Sous leur apparente stabilité s’enclenche un système de trajectoires, dessinant une perception extrême de l’espace et du temps. L’air de rien…
Robert Breer, Sculptures flottantes, au CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux, du18 novembre 2010 au 27 février 2011. Commissariat : Alexis Vaillant, responsable de la programmation au CAPC.
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- Du même auteur : Simon Boudvin, Abstraction manifeste, Plus blanc que blanc, From Russia with love, Aires de Jeux, contre-emplacement à Micro-Onde (Vélizy-Villacoublay), Aire de Jeux, la police ou les corsaires à Quartier (Quimper),
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