Kodomo No Kuni — Replay
FRAC Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque, 26.01-24.03.2019
Après avoir été présentées à distance dans deux lieux différents, l’Onde à Velizy et La Maréchalerie à Versailles[1], les œuvres de « Kodomo No Kuni » sont maintenant rassemblées et mises en regard dans les espaces du FRAC Grand Large en une troisième exposition-synthèse, ou replay, comme il est dit dans le titre. Ainsi, des œuvres qu’on avait dû précédemment rapprocher de mémoire s’offrent ici en un seul regard. Mais est-ce une raison suffisante pour justifier ce replay,serait-on tenté de se demander — outre bien sûr l’aspect pratique, pour tous ceux qui n’ont pas pu se déplacer auparavant dans les deux centres d’art éloignés l’un de l’autre ? De surcroît pour une exposition répondant a priori à une thématique étonnante : les aires de jeux au Japon dans les années 1960-70, sujet de recherche du commissaire invité Vincent Romagny… Le nom de Kodomo No Kuni fait en effet référence à un grand parc de loisirs créé dans les années soixante à Yokohama au projet duquel avait collaboré l’artiste et designer américano-japonais Isamu Noguchi, pionnier de la conception d’aires de jeux paysagères.
En réalité, l’exposition est en cohérence avec la programmation et, surtout, avec la spécificité des collections du FRAC, composées bien sûr d’œuvres d’art mais aussi d’objets de design, essentiellement de design critique des années 1960-70. Dans les expositions organisées ici, il est par conséquent souvent question du statut des pièces, de ce qui les distingue ou, au contraire, des glissements, voire des réversibilités, entre usage contemplatif et usage pratique selon les contextes.
Dans « Kodomo No Kuni », certaines œuvres sont au cœur de ces interrogations et les poussent même plus loin. Tel est le cas de la structure intitulée Panel Tunnel de l’architecte et concepteur d’aires de jeux Mitsuru Senda, auparavant exposée à l’Onde et produite pour être acquise par le FRAC à cette occasion. Conçue en 1976 pour être une structure de jeux sans être jamais réalisée en tant que telle, elle existe aujourd’hui sous la forme d’un objet au statut particulièrement complexe. Praticable mais sans l’être tout à fait puisque n’étant plus aux normes de sécurité des jeux d’enfants, la structure l’est seulement dans l’espace d’exposition ; esthétique grâce à ses panneaux aux découpes ajourées qui offrent des points de vue variés sur leurs couleurs vives (rouge, bleu, jaune et vert), elle n’est ni tout à fait ni une sculpture ni vraiment une installation ; elle n’appartient à aucune catégorie et les interroge toutes. De même, la grande pièce de Yusuké Y. Offhause, Asobiba Reactivated Memories, exposée initialement à La Maréchalerie et elle aussi acquise par le FRAC,entretient une ambiguïté similaire, étant à la fois une cage d’écureuil comme celles dans lesquelles les enfants grimpent — et que l’on peut vraiment traverser en son centre — et le support de petites sculptures en céramique qui représentent de mémoire les aires de jeux où l’artiste a joué, enfant, à Tokyo. Ainsi transformée en socle pour d’autres objets, la cage d’écureuil devient même allégorique des zones du cerveau où sont classés les souvenirs. Œuvre globale, œuvres dans l’œuvre, objet réel, allégorie et représentations de souvenirs lointains, ces différentes approches se combinent et se chevauchent troublant les catégories esthétiques. Présentées au centre de l’espace principal, Panel Tunnel et Asobiba Reactivated Memories donnent le ton de l’exposition dans sa version replay.
Tout autour, d’autres œuvres enrichissent la
thématique principale en évoquant des aspects plus particuliers des jeux d’enfants
au Japon, par exemple, l’installation Chronique d’un monde d’avant du
Gentil Garçon (Julien Amouroux) qui s’inspire de la tradition des kamishibai,
de modestes spectacles de rue animés par des conteurs à partir de planches
dessinées. L’artiste a récréé un petit théâtre accroché à un vélo dans lequel
il montre un film réalisé lors de sa résidence à la Villa Kujoyama avec l’un
des derniers conteurs de kamishibai. Aussi instructive qu’émouvante, son
œuvre nous plonge dans un univers à la fois étrange et familier, introduisant à
une autre culture tout en ravivant en nous les plaisirs de l’enfance. Tout
aussi sensible est la pièce de Constance Sorel, composée d’un ensemble de bobs
aux couleurs pastel juste posés sur le sol. L’artiste l’a pensée en référence
aux objets oubliés par leurs propriétaires et soigneusement emballés dans des
sacs plastiques par d’autres personnes, dans l’espoir
qu’ils seront retrouvés un jour. Les bobs incarnent cette mélancolie, en même
temps que les enfants qui auraient pu les porter. Et, enfin, on ne peut pas ne
pas souligner la présence dans l’exposition de deux œuvres de Shimabuku, un
film d’enfants jouant sur un rocher avec des vagues et un élastique à travers
lequel on peut passer sans le déchirer, des œuvres comme toujours à la fois si
simples et si finement burlesques qui ajoutent une touche très spirituelle à
l’exposition.
[1] Respectivement, « Kodomo No Kuni — Enfance et aire de jeux au Japon », 7.04-30.06.2018 et « Kodomo No Kuni — Mémoire et enfance au Japon », 16.05-8.07.2018.
Image en une : Vue de l’exposition « Kodomo No Kuni – Replay », Frac Grand Large – Hauts-de-France, Dunkerque. Photo : Aurélien Mole.
- Publié dans le numéro : 89
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- Du même auteur : Gontierama à Château-Gontier, Alias au M Museum, Leuven, mountaincutters à La Chaufferie - galerie de la HEAR, Lacan, l’exposition au Centre Pompidou Metz, Jérôme Zonder au Casino Luxembourg,
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