r e v i e w s

In search of everything

par Antoine Marchand

Difficile en pénétrant dans l’exposition d’Ariel Schlesinger à Montbéliard, « Phenomena of Resonance », de ne pas penser immédiatement à Roman Signer. Même souci de l’expérimentation permanente, même sens du bricolage, même impression de fragilité des œuvres, le parallèle est troublant. Toutefois, cette étrange sensation s’estompe assez vite. Il y a chez l’artiste suisse un sens de la chute extrêmement maîtrisé. Pour le dire autrement, les installations de Roman Signer se composent d’un avant la catastrophe – la plupart du temps –, d’un pendant et d’un après. Chez Ariel Schlesinger, en revanche, on est constamment dans le pendant, dans l’œuvre en train de se faire. Chacune de ses pièces possède sa propre temporalité : il appartient au spectateur de se mettre au diapason, sous peine de ne pas en faire pleinement l’expérience. Cette fameuse « expérience de l’œuvre », tellement rebattue qu’elle est aujourd’hui un peu galvaudée, prend en effet ici tout son sens. Ainsi, dans L’angoisse de la page blanche (2007), deux feuilles de papier posées face contre face sur un socle de fortune tournent lentement sur leur axe dans un mouvement parfaitement symétrique. Comment, à partir de matériaux aussi banals qu’une planche de bois, quatre vieilles bombes de peinture, deux feuilles de papier et un petit moteur, l’artiste a-t-il pu réussir à créer une œuvre si poétique, métaphore sur le temps qui passe et l’éternel recommencement ?
Mais ce rapport singulier au temps n’est pas la seule manière d’aborder le travail de ce jeune artiste. Avec Bubble Machine, œuvre emblématique créée en 2006, Ariel Schlesinger tente de répondre à une question qui lui est venue en plein désert du Nevada, alors qu’il assistait au Burning Man1 : comment transformer une bulle de savon en feu ? Dès lors, il n’a eu de cesse de chercher à trouver une solution à cette énigme pour le moins saugrenue. Il en résulte une drôle de machine, qui ne déparerait pas dans une collection d’art brut. À partir d’éléments disparates – un escabeau, une visseuse électrique, des serre-joints, entre autres choses – assemblés sommairement, il a réussi son pari, et chaque bulle de savon qui s’écrase sur la grille placée en contrebas disparaît dans une flamme assez impressionnante. Cependant, aucune volonté ici de mettre en avant la prouesse scientifique, le défi technique, simplement la satisfaction d’avoir résolu un problème a priori insoluble, par le biais d’une installation aussi inutile que fascinante. En cela, Ariel Schlesinger rappelle plutôt Géo Trouvetou, sans cesse dans l’expérimentation.
Néanmoins, derrière le bricoleur compulsif se cache un jeune israélien d’une trentaine d’années, émigré en Allemagne depuis 2006 et forcément marqué par les évènements qui touchent son pays. Ainsi peut-on trouver, dans le catalogue qui accompagne l’exposition, un texte de Gal Katz, intitulé « Pourquoi est-il impossible d’émigrer ? », variation d’une grande justesse sur la condition d’émigré. Par ailleurs, alors qu’il n’avait jamais cherché, jusqu’à présent, à afficher de positionnement politique clair dans son travail, une des œuvres de l’exposition s’intitule I believe in a two states solution2, référence évidente au conflit israélo-palestinien. Sur une table en bois sont posés plusieurs crayons, stylos et objets divers, prélevés dans l’atelier de l’artiste. Une odeur d’encens se dégage de l’ensemble, et une observation plus attentive révèle que l’un des crayons est en fait un bâtonnet d’encens, subtilement camouflé. Outre la perte de repères, habituelle dans sa démarche, l’œuvre vaut surtout pour le symbole qu’elle véhicule : Doit-on laisser la situation s’enliser, le bâton se consumer, jusqu’à un point de non-retour ?

1 Le Burning Man est un festival qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada et dont l’un des moments forts est la mise au bûcher d’un géant de bois qui vient clôturer chaque édition.
2 Il s’agit de la seconde version d’une œuvre conçue au cours de l’été 2011, réalisée spécialement pour l’exposition à Montbéliard.