r e v i e w s

Extra Bodies

par Patrice Joly

The Use of the ‹Other Body› in Contemporary Art

Migros Museum, Zürich, 18.11.2017 – 4.02.2018

L’utilisation du « corps des autres » dans l’art n’est pas une nouveauté : la présence, en ouverture de l’exposition commissariée par Raphaël Gygax, d’une vidéo d’Yves Klein montrant l’artiste dirigeant ses figurantes est là pour nous le rappeler. Cinquante ans plus tard, la mise à nu des corps ne suscite plus autant de trouble, cependant, de nombreuses autres problématiques ont surgi entre temps : « Extra Bodies » apparaît d’une certaine manière comme une exploration de l’évolution des rapports entre artistes et « figurants ».

Des œuvres de Vanessa Beecroft avec leurs mannequins nues aux poses déshumanisées à celle de L.A. Raeven qui montre l’attente précédant un casting qui n’arrivera jamais (Test room, 2000) en passant par celle de Santiago Sierra malmenant ses figurants, les corps font l’objet d’une véritable fixation de l’objectif et nous renvoient à notre dimension voyeuriste / passive. Avec Christophe Büchel (la reprise du No Future des Sex Pistols par un groupe de vieilles dames dans No future, 2008) ou encore Yoshua Okòn (qui filme un corps obèse dans Freedom Fries, 2014), toute dimension érotique est expulsée au profit d’une critique virulente des standards corporels, tandis que chez Clegg & Guttman, c’est l’identification entre académisme et représentation du pouvoir qui est visée. Chez Margolles (Mesas y dos bancos, 2013), le corps de l’autre est désormais signifié par une ellipse qui le fait littéralement disparaître (c’est sous la forme d’un mobilier de béton ayant incorporé le sang des victimes de règlements de compte entre narcotrafiquants « qu’apparaissent » les corps). Se référant à la philosophie de Foucault, l’exposition tente de faire le tour des évolutions marquantes du genre, tout en se gardant bizarrement de venir sur le terrain de l’esthétique relationnelle et de la performance. La forme tableau vivant, emblématique de l’esprit du xixe siècle et très présente au début de l’exposition, disparaît peu à peu au profit d’une mise en lumière de l’inclusion progressive des figurants dans la production des œuvres (Guy Ben-Ner) tandis que, parallèlement, le rapport au corps devient plus métaphorique (Stephen Willats). C’est au deuxième étage que cette objectivation du corps de l’autre se transforme en une critique des mécanismes de fabrication de l’image et marque aussi l’irruption récente de la figure du migrant dans le champ de la représentation collective : Jonas Staal cible le processus de désignation démocratique à travers l’édification d’un projet de parlement alternatif au Rojava, province autonome du nord de la Syrie (New World Summit ­— Rojava 2015-2017) ; Guy Ben-Ner veut ouvrir les yeux des figurants (palestiniens) en leur montrant les ficelles du montage cinématographique (Escape Artists, 2016) ; quant à Artur Żmijewski, son « documentaire » choc sur les camps de Calais et de la Grande-Synthe (Glimpse, 2017) montre des migrants autoritairement mis au travail et certains badigeonnés de blanc, histoire de faciliter « l’intégration » de ces « corps étrangers », nous plaçant dans une posture de réception pour le moins dérangeante. Manière de signifier que ces extra bodies, « mobiles, flexibles et prêts au sacrifice » occupent littéralement le devant de la scène en rebattant les cartes de la représentation et qu’il n’est plus permis dorénavant pour les artistes de les considérer de manière distanciée…

(Image en une : Yoshua Okón, Freedom Fries: Still Life, 2014. Vidéo sur moniteur, 3’42, videostill. Courtesy Yoshua Okón, kaufmann repetto, Milan/New York.)


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