r e v i e w s

Clemens von Wedemayer

par Patrice Joly

CVW par CVW

The Repetition Festival Show présente une série de quatre films de Clemens von Wedemayer. En apparence, et comme le titre de l’exposition tend également à nous le faire accroire, nous sommes face à une proposition qui répond aux conventions de présentation en vigueur dans le film commercial ou expérimental, à savoir une anthologie ou une sélection de films dédiés à un ou plusieurs cinéastes ou réalisateurs. En apparence seulement, puisqu’un des enjeux du travail de von Wedemayer est justement de tenter une traversée de ces apparences qui jalonnent et gouvernent la pratique du cinéma – entendue dans les deux sens d’un vocabulaire filmique mais aussi de techniques de distribution. Aussi, la référence au festival est-elle loin d’être anodine puisque, dès les abords de la salle de projection, nous savons que nous n’aurons pas affaire à un festival classique mais plutôt à un mode de présentation qui s’attache à déconstruire l’appareillage « propagandiste » du cinéma : ce festival-là est un festival auto-centré, la palme d’or reviendra forcément à son auteur unique puisqu’il n’y a ni compétition, ni jury, ni sélection. Von Wedemayer intègre les stratégies de l’industrie du cinéma à son propre compte : en utilisant les mêmes techniques de séduction que cette dernière, il entend nous rappeler que la puissance de captation ne commence pas à l’intérieur de la salle obscure mais bien en amont, via l’ensemble communicationnel dont un « vrai » festival comme celui de Cannes par exemple représente un des points culminants.

Il s’avère donc nécessaire de considérer que le dispositif qui précède le visionnage de ces quatre films importe autant que les films en « non compétition ». Le display déployé sur les murs du hall qui précède la salle de projection fait penser à un rouleau virtuel : à hauteur des yeux apparaissent les posters relatifs au film « à l’affiche », tandis qu’au-dessus sont placés les documents liés au film précédent et au-dessous ceux correspondant au film à venir, le tout se déroulant et se repositionnant au fur et à mesure que le festival avance dans le temps. Le spectateur a ainsi le sentiment d’être confronté à une événementialité en boucle, qui va à l’encontre d’un fonctionnement festivalier plus enclin à privilégier une logique de tension permanente culminant au moment de la désignation du lauréat et de la remise des prix. Par ailleurs, cette mise en scène de la répétition renvoie à la construction des films de von Wedemayer dont la boucle constitue un des éléments-clé : cette dernière est primordiale dans une œuvre qui s’attache avant tout à restaurer une proximité avec le réel même si au demeurant son principe semble proprement incompatible avec ce dernier. Avec l’installation du Project Art centre, l’artiste s’attaque à l’enveloppe extérieure et plus seulement à la construction interne de ses films. Ainsi s’instaure une continuité entre l’avant-scène et les œuvres elles-mêmes à travers le redoublement de ce qui constitue sa marque de fabrique, la répétition critique.

Clemens von Wedemeyer, Otjesd (Leaving), 2005, film still

Dans cette optique, le choix des films présentés revêt une importance déterminante : la sélection se doit de correspondre à cette entreprise de déconstruction ébauchée précédemment qu’elle devra prolonger à la manière d’une démonstration mathématique. Pour von Wedemayer, le cinéma narratif classique consiste en la mise en place d’une illusion crédible, dont il convient pour ses promoteurs de ne jamais laisser prise à une possible mise en doute… Plutôt que de s’attaquer frontalement au sortilège cinématographique comme le feront les Lettristes en parsemant la linéarité filmique d’accidents de lisibilité, von Wedemayer préfère reprendre les techniques mêmes de la réalisation afin d’en révéler les soubassements. La « traversée de l’écran » s’opère notamment dans Occupation qui consiste en le filmage du filmage d’un film dont on a du mal à percevoir la progression si ce n’est qu’au bout d’un moment on a l’impression que la foule des figurants filmée de manière désordonnée par l’équipe de tournage prend petit à petit le contrôle des opérations : nous voilà au cœur des préocccupations de von Wedemayer pour qui la reprise en main des mouvements de caméra par les figurants devenus acteurs sonne comme la métaphore d’une liberté reconquise et de retrouvailles avec un réel que le cinéma ne fait qu’occulter. Dans Opposite side, von Wedemayer s’en prend cette fois-ci à la dichotomie intérieur / extérieur qui est sensée assigner un point de vue fixe au spectateur. En plaçant ce dernier dans une instabilité permanente qui le fait errer d’une pensée à l’autre, il rend l’identification d’autant plus difficile que la trajectoire décrite par la caméra hésite en permanence entre ce qui relève de l’espace privé et de l’espace public : la gare centrale de Munich et ses abords où se situe l’action du film représente l’archétype de zones architecturales passe-partout. Le doute sur le statut des espaces arpentés accompagne et redouble le sentiment de flottement généré par l’indécision quant à l’identité du narrateur. Pour ajouter à cette perte des repères (qui résonne également avec la volonté de von Wedemayer d’interroger la « place » de la réalité), le film emprunte au genre policier à travers l’exploitation d’un fait divers qui ne donne lieu à aucune résolution mais est plutôt prétexte à inventorier la topographie des lieux ainsi que la multitude bariolée qui s’y meut. Dans Ostjed, on retrouve cette même construction circulaire du mouvement de caméra et du « scénario » : on y tourne littéralement en rond. Se référant aux tentatives de ressortissants des anciennes républiques de l’Est au milieu des années 2000 pour se procurer des visas pour les pays de l’Ouest, en l’occurrence le consulat d’Allemagne à Moscou, cette nouvelle « boucle » s’accorde cette-fois ci parfaitement avec la réalité décrite par les anciens candidats : on y retrouve les sujets chers à l’auteur, le sentiment de surplace et l’impression d’une réalité bien plus fictionnelle que celle de l’invention scénaristique. Le motif de la queue y est dessiné en tant que symptôme d’un pouvoir abusant cyniquement de ses prérogatives : le caractère sisyphien des efforts poursuivis par les requérants, prisonniers d’une queue dont on ne discerne plus ni la direction ni le début, peut également être perçu comme une métaphore de l’impossible saisie du réel par l’outil cinématographique. Le dernier opus est en fait une trilogie, Against death, Interview et Found footage, qui constitue une réflexion sur la constitution de l’altérité à travers l’exploration du rôle de la caméra comme marqueur de la civilisation. Prenant pour cible le documentaire anthropologique en tant que source de fabrication de la mythification de la découverte de l’autre, Found footage décrit les étapes historiques de notre rapport au sauvage et culmine au moment du canular magistral des Tasaday1. Interview propose de radicaliser définitivement notre rapport aux peuples « primitifs » afin de leur laisser une chance de survie… Quant à Against death, la sophistication de la technique semble être toute entière destinée au service d’un scénario relevant de la magie et du paradoxe : une fois de plus, que ce soit à travers l’utilisation de la boucle ou des multiples possibilités de la machine, l’art de von Wedemayer travaille à révéler le pouvoir de la caméra comme outil de mystification.

1 : les Tasaday ont été « découverts » au début des années soixante-dix et, dans un premier temps, identifiés comme un peuple n’ayant eu aucun rapport avec la civilisation moderne. Quinze ans plus tard, période correspondant au black out lié au régime de Ferdinand Marcos, on les retrouve ayant développé des attitudes civilisées proprement inexplicables : cette affaire est connue comme étant une des plus grandes mystification de l’histoire de l’anthropogie.

Clemens von Wedemayer, The Repetition Festival Show au Project Arts Centre de Dublin du 25 novembre 2010 au 19 février 2011, à la Kunsthal Charlottenborg de Copenhague du 5 mars au 22 mai 2011 et à la Fondazione Galleria Civica de Trento du 28 mai au 28 août 2011.


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