Mathieu Mercier / Fondation d’entreprise Ricard

par Laure Jaumouillé

Que faire à l’heure de la reproductibilité technique de l’oeuvre d’art ? À la Fondation Ricard, Mathieu Mercier propose deux réponses à cette question. On y trouve au premier abord un art de la citation, des avant-gardes jusqu’à nos jours. Une attention plus soutenue laisse entrevoir une forme de composition dans la mise en relation de ces différentes reprises citationnelles à l’intérieur de l’exposition.

Si la modernité a donné lieu à un art critique, l’art postmoderne de la citation des avant-gardes apparaît inévitablement comme une forme de critique de la critique. Mathieu Mercier nous l’avait démontré lors de son exposition Sans titre 1993-2007 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2007.

Ici, les références historiques à l’art moderne sont à la fois plus subtiles et ambivalentes, laissant planer une certaine dose de mystère. L’histoire de l’art du XXème siècle y transparait sous une forme méditative. Ainsi, ce qui ressemble à un Architectone de Malevitch se trouve enveloppé d’une chemise blanche, comme si il fallait habiller le degré zéro des formes, face au vertige né de l’absolu suprématiste. Plus loin, un tableau apparenté à une abstraction géométrique accueille un effet de loupe. Le Magnifying Glass de Roy Lichtenstein (1963) se dispute le trouble visuel du grossissement, qui confère à l’objet l’apparence d’un Proun de Lissitzky. Sous vitrine, une ceinture d’homme prend la forme d’un anneau de Moebius, l’incongruité de l’oeuvre évoquant un certain héritage surréaliste…

Vue de l'exposition « Mathieu Mercier », Fondation d'entreprise Ricard novembre 2012. Fondation d'entreprise Ricard / Aurélien Mole.

Pourtant, certaines propositions résistent un temps à ce type d’interprétation. Ainsi, le triptyque photographique présenté dans le premier espace, Sans titre (Scan poussière), laisse perplexe. Pourrions-nous y voir un clin d’oeil à la célèbre photographie de Man Ray, réalisée à partir du Grand Verre de Marcel Duchamp ? L’Elevage de poussière de 1920 fait resurgir les conflits de la modernité face au médium pictural. Son rival photographique y enregistre une évanescence au détriment de la durabilité de la peinture, tandis que la transparence du Grand Verre dénie toute fenêtre ouverte sur le monde. Le Scan poussière de Mathieu Mercier en serait alors une reprise postmoderne, empreinte de mélancolie romantique.

Par des allusions plus ou moins directes à l’histoire de l’art du XXème siècle, l’exposition se déploie sous la forme d’une variation autoréflexive d’un art qui parle d’art. Last Day Bed évoquerait une pierre tombale d’inspiration minimaliste, tandis que Sans titre (Chapeau) s’apparente à un dispositif Pop, associé à l’image du fameux couvre-chef de Joseph Beuys. Dans un coin, un rouleau de mousse épouse le volume architectural qui l’accueille, à la manière des oeuvres d’art informel d’un Robert Morris… Observons enfin la démultiplication d’une colonne grise – appartenant à l’environnement architectural de l’exposition – par des dispositifs similaires de diamètres variables. Par ce geste, l’artiste se réfère à l’art contextuel d’un Daniel Buren, pourtant vidé de toute critique institutionnelle. En agissant sur l’espace de la Fondation Ricard, Mathieu Mercier désigne l’objet-exposition, dont il est l’auteur.

Vue de l'exposition « Mathieu Mercier », Fondation d'entreprise Ricard novembre 2012. Fondation d'entreprise Ricard / Aurélien Mole.

Malgré toute la satisfaction intellectuelle qu’elle procure à l’historien de l’art, l’exposition de Mathieu Mercier cède à la facilité d’un constat fataliste. Si la reproductibilité technique de l’oeuvre d’art est actée comme point de non-retour, ne subsisterait alors qu’une archéologie de la fabrique de l’image. Originalité et unicité n’ont plus lieu d’être, tel serait le postulat de l’artiste. Reste la question de la légitimité problématique de cet art de la citation. Tout porte à croire que Mathieu Mercier la trouve aujourd’hui dans l’originalité et l’unicité d’une composition curatoriale. Si tel est le cas, force est d’admettre que Mathieu Mercier rejoue les valeurs modernistes à l’échelle de l’exposition. Ne serait-ce pas quelque peu contradictoire ?


articles liés

Erwan Mahéo – la Sirène

par Patrice Joly

Helen Mirra

par Guillaume Lasserre