Virginie Barré

par Aude Launay

Conversation avec Virginie Barré à l’occasion de son exposition Simone à la galerie Lœvenbruck (11.09—10.10. 2009)

Depuis tes premières installations, ton univers est peuplé de références cinématographiques, et même bien plus, puisque tu t’inscris aussi dans une pratique de la mise en scène, notamment avec tes mannequins qui agissent comme des inserts fictionnels au cœur de tes expositions. Aujourd’hui, tes dessins reprennent des extraits de story-boards, des notes et des photos de tournage, convoquant ainsi à la fois les regards du réalisateur, du paparrazzo, versants intérieur et extérieur de la création d’une mythologie populaire. Tu mixes d’ailleurs différents cinémas, passant d’Antonioni à Scorcese tout en citant Little Nemo et Le voyage de Chihiro. Peux-tu expliciter ce qui te lie ainsi au cinéma?

Viva Maria, tournage, 2009

Viva Maria, tournage, 2009

Dans mon travail, je suis traversée, influencée, imprégnée même par des auteurs, des films, des œuvres aux ramifications multiples. Mais au fil des années, ces intérêts ne se présentent jamais sous le même visage. Par exemple, Truffaut me fascine par sa faculté à capter l’enfance. Dans L’argent de poche, je trouve que les enfants évoluent avec une légèreté, un naturel très pertinent. Cette re-construction du naturel m’intéresse, il s’agit bien ici de fabrication d’une image. Celle de Catherine Deneuve avec son fils parle également de ces « bords » de l’image : après une scène tournée, je peux un instant basculer dans l’intimité d’une actrice avec son fils, je suis à la fois au cinéma et dans sa marge, dans la vie et sa fiction.

Les références au cinéma dans l’exposition Simone ne sont pas frontales, elles se font par l’arrière, par des sentiers détournés, des instants captés, des images intermédiaires où les enfants et le jeu sont rois. En retraçant sur des grands papiers des listes, des notes de François Truffaut lorsqu’il travaille à ses films, je m’organise une espèce de séquence poétique. En découpant dans des adhésifs colorés je joue et je fais apparaître la fille Scorcese qui fait l’andouille sur le canapé. Plus loin, Jeanne Moreau et Brigitte Bardot sont « à cheval » sur des ânes, là aussi je vise un décalage, une décontraction, un dégonflement de l’image.

En effet, entre le portrait de Deneuve et de son fils, la citation de Rosemary’s Baby, la référence à Viva Maria et la présence de l’un des mannequin de Blow Up, tu alternes les images de mère, de femme déterminée et de fille sexy. On se souvient aussi de cette série de dessins que tu avais montrée dans ton exposition Simple Dames (en 2005 à la galerie Lœvenbruck), qui figuraient des femmes exerçant des activités réputées masculines: jeu de cartes, bowling, militaires et militantes… L’image de la femme est très présente dans ton travail, mais au même titre, si je ne me trompe, que l’enfant ou par exemple les Indiens, des minorités en ce qui concerne leur représentation dans le monde de l’art; est-ce un parallèle conscient que tu établis ainsi?

Absolument, c’est même assez revendicatif au fond. Mais là encore je n’aborde pas de la même manière les Sioux et Jane Fonda ! Les dessins qui plantaient les Indiens dans l’univers avant-garde du Bauhaus exprimaient une apparente opposition mais surtout des points communs fondamentaux dans le style de vie des uns et des autres et dans une synchronicité étonnante. Mais tu as bien raison de rapprocher cette présence des minorités dans mon travail à celle de la femme, de l’enfant, ou du bébé car effectivement il s’agit bien ici de représenter des personnages qui avancent souvent de manière clandestine dans l’histoire et à fortiori dans l’histoire de l’art. J’ai décidé, en qualité d’artiste/femme immergée dans la sphère de la maternité, de m’emparer de ces sujets peu convoités et de les placer au centre de ma pratique. Je n’ai pas voulu comme le dit Françoise Héritier « laisser le travail de soin aux enfants considéré uniquement comme une sorte d’excroissance de la vie intime des femmes. ». En en faisant mon objet, j’espère aussi en montrer la richesse et la complexité.

Justement, cette question de l’enfant est assez intrigante, par-delà le dépassement de l’état « madone » de la représentation mère-enfant opéré notamment lors du passage à un art sécularisé ( ce que tu illustres très bien par ta proximité avec le cinéma et la bd, arts populaires s’il en est); qu’y cherches-tu? À ton propos, Claire Guézengar parle de « filiations entre l’art et l’enfance », évoquant peut-être par-là les métamorphoses de l’esprit décrites par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra :  » L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation », qui tentait de prouver ainsi que l’esprit de l’enfant est plus fort que celui qui se fait chameau sous le poids de l’apprentissage ou lion empli du désir d’émancipation. Ainsi l’enfant serait-il chez toi une métaphore de l’artiste, par sa capacité d’étonnement propice à la création…

vue de l'exposition Simone, galerie Loevenbruk, septembre 2009

vue de l’exposition Simone, galerie Loevenbruk, septembre 2009

Oui, l’enfant agit dans mon travail comme modèle dans tous les sens du terme. L’enfant c’est avant tout un état, une phase dans la vie d’un être (tout comme précédemment le bébé). Et pour moi cette phase se caractérise par un grand déploiement de tous les possibles, tout y est ouvert, entièrement absorbé dans le présent. Et puis dans les jeux de l’enfance, on peut aller au combat, être mort et ressuciter en une après-midi. Dans un film ou un roman ça se passe de la même manière. Je construis comme ça mes expositions. Les épisodes se succèdent, on est  pas obligé de connaître le début, il y a des épisodes sanglants, oniriques, d’autres plus sensibles mais il peut y avoir des rebondissements, des faux-semblants.

Il y a dans ton travail une certaine permanence des références aux années 60, par exemple tous les films cités dans Simone, datent de cette décennie… S’agit-il pour toi, née en 1970, d’une fascination esthétique ou bien d’une sorte de commémoration des revendications de l’époque, d’une évocation de ce qui est pour l’instant le dernier âge d’or des utopies?

Il s’agit davantage d’une empreinte que d’une fascination dans le sens où j’ai, enfant, traversé les années 70. Il m’arrive souvent de dessiner ou d’enfiler aux mannequins des sous-pulls à col roulé et des coupes au bol, ce qui nous installe dans l’atmosphère de cette période. Mais ce n’est pas seulement cela, la pensée se construit par accrétions, je suis assez focalisée sur le cinéma des années 66, 68, 70. Il y a beaucoup de  films qui comptent, qui inspirent mon travail : Blow Up, Bullit, Rosemary’s Baby, Je t’aime, je t’aime, Fahrenheit 451 etc. L’esthétique, la qualité des images, leurs couleurs, leur musicalité m’accompagnent dans mes recherches. J’aime la texture du suspense de cette époque, même les doublages que je n’accepterais plus pour un film récent ! En ce qui concerne la question des utopies, je pense être passée au travers. Utopie pour moi c’est surtout le nom de la truie qui patauge dans la gadoue du « jardin public » de Douarnenez.

J’aimerais évoquer cette forme nouvelle apparue dernièrement dans tes expositions, le petit module suspendu, que tu appelles la »charade »… Ces associations d’éléments divers, formes découpées, humaine, animale ou géométrique, dans du carton, pompons, colliers de perles… toutes breloques faites main,  semblent une manière pour toi d’écrire de micro-scénarii, de formuler des concrétions d’énigmes… Avec leurs couleurs franches et leur allure de dreamcatcher, elles semblent être là pour nous rassurer; quel rôle jouent-elles dans ton œuvre?

Charade Ane

Charade Ane

C’est une nouvelle série d’objets, amorcée il y a un an maintenant. Je combine, je juxtapose des éléments qui viennent d’horizons différents. Des animaux sortis des imagiers du Père Castor côtoient des balles de tennis en skaï, reliées par des chaînes de métal. Je voulais mettre en place une nouvelle famille plus rapide, décomplexée mais aussi structurée, composée. Je m’intéresse au japonisme, c’est une notion qui infuse mon travail, particulièrement cette ramification. Dans ces modules, je suis là encore très proche du jeu (d’assemblage). Ces nouvelles « articulations » formelles trouvent leur origine dans les éléments suspendus de l’installation « L’homme à la Womb Chair » (2008) que j’ai créée pour le Centre d’art de Colomiers. Cette exposition était d’ailleurs pleine de références au Japon.

En effet… Pourquoi le Japon?

Dans l’art traditionnel japonais, que ce soit dans les estampes, les kimonos, les chaussures, les armures et les sashimonos des samouraïs, les masques de théâtre, il y a un raffinement, un équilibre une justesse incroyable, on sent chaque chose à sa place. J’aime aussi le Japon d’ aujourd’hui pour sa fantaisie avec le Cosplay, l’univers magique de Miyazaki, le délirant Murakami, je trouve ces univers extrêmement contemporains mais aussi enracinés dans leur histoire. Du coup, il me semble qu’ils peuvent tout se permettre. La sculpture centrale de l’exposition « Tsukiko » indique bien mon intérêt pour le Japon. Ce bébé surdimensionné, endormi au sol est habillé comme un ninja et pourrait nous rappeller le fils de Yubaba dans le voyage de Chihiro. Je me souviens (maintenant) quand je me suis intéressée au Japon : lorsque je préparais l’exposition « L’homme à la Womb Chair » je recherchais des motifs de blasons à coudre sur des couvertures militaires qui allaient être posées au sol. C’est à ce moment que j’ai trouvé de magnifiques bannières appellées sashimonos. Je les ai trouvées extrêmement graphiques, efficaces. Ce sont de très belles abstractions. C’est comme cela que cette nouvelle phase de travail à commencé et je continue à y travailler.


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