David Douard

par Laure Jaumouillé

O’ Ti’ Lulaby

Le Plateau, Frac Île-de-France, Paris, 27.09 — 13.12.20

À l’entrée de l’exposition du Frac Île-de-France, nous voici déroutés, perplexes, inquiets, tandis que nous nous heurtons à une poétique dissonante. Dans l’espace, on observe des associations d’objets improbables au sens fort, à savoir, des associations douteuses, incertaines et finalement profondément invraisemblables.

La pratique de David Douard naît sous le signe du discours : un discours fragmenté et pervers, qu’il désigne lui-même comme un reflux de « crachats » ou encore des « giclures ». Usant de textes et de poèmes collectés sur Internet, il soumet les mots à une violence avilissante ; il les manipule, les transforme pour les régurgiter dans l’espace d’exposition au travers de bandes sonores. On peut y déceler un écho au Lettrisme fondé par Isidore Isou en 1946, à savoir une poétique des sons et des lettres impliquant de renoncer aux mots au profit d’onomatopées, de bruits et d’interjections. Les titres de ses expositions sont emblématiques de ce rapport au langage : Mo’Swallow (Palais de Tokyo, 2014), )juicy o’f the nest (Sculpture Center, 2014), O’DA’OLDBORIN’GOLD (galerie Chantal Crousel, 2019). Enfin, O’Ti’Lulaby, au Plateau, évoque une berceuse et, pourtant, la douceur réconfortante de la berceuse se trouve déclinée selon des variations équivoques et déconcertantes.

David Douard s’empare de l’espace dans son ensemble pour le configurer à sa guise. Ce dernier est structuré au travers d’un grand store de bureau mais aussi de vitres d’abris bus, d’éléments posés au sol ou encore d’une porte en arcade découpée dans l’entrée de l’exposition. Deux autres portes entrouvertes structurent le lieu, l’une donnant sur l’image de dents serrées, l’autre sur un sas qui nous enveloppe de sa lumière vive de couleur jaune. David Douard refuse de se plier aux lois de l’esthétique ni à celles du style. On observe chez lui un refus de l’harmonie qui se manifeste au travers de l’association des éléments les uns avec les autres. Une planche de bois à la forme troublante sert de support à un motif que l’on pourrait apparenter à du street art. Une cage à oiseaux disposée à l’envers est associée à de simples barres de métal accompagnées de boules en verre soufflé. Des images en mouvement se voient projetées sur des grillages métalliques. Des lampes sphériques suspendues au plafond sont recouvertes de textiles dotés de fermetures éclair. Des matériaux déformés accueillent au sol un écoulement d’eau. L’artiste multiplie les associations en veillant à tout prix à éviter une harmonie trop plaisante.

Lorsque l’on observe l’ensemble de l’espace, plus que d’une composition, il faudrait parler d’un processus de contamination. Les œuvres exposées semblent malades, comme infectées par un virus. Chaque œuvre, chaque forme se trouvent contaminée et contamine les autres. Ce virus n’est autre qu’une forme de résistance vis-à-vis de l’esthétique, un glitch. L’artiste fait tout son possible pour éviter le beau, la concorde, l’élégance, la consonance, la conciliation, la grâce. À la manière du motif des dents serrées, ça grince et ça crisse jusque dans les interstices qui séparent les éléments, constituant par là même une œuvre d’art totale. David Douard renonce à un certain système tonal pour créer une musicalité dotée d’un vocabulaire et d’une grammaire atonales. Celle-ci s’applique tant aux sons qu’aux objets. Selon les mots de l’artiste, il s’agirait de « corrompre la matière » : déformer, infecter, souiller, troubler, dégrader, détériorer, dénaturer, pervertir, défigurer… Pourtant, ce refus de l’harmonieux donne lieu, lorsqu’on observe l’exposition dans son ensemble, à l’émergence d’une nouvelle esthétique : la note tonique prend sa revanche.

Toutes les images : Vues de l’exposition O’Ti’Lulaby de David Douard,
Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2020. Photo : Martin Argyroglo.
Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris


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