[Dossier Allemagne] Dan Rees

par Aude Launay

Les artistes conceptuels sont-ils doués pour le ping-pong ? La possibilité de l’échec inhérente à l’œuvre est-elle une qualité méta-esthétique de cette œuvre ? Comment un facteur – au sens de porteur épistolaire – peut-il déterminer une œuvre ? Le travail du jeune berlinois Dan Rees pose de bien épineuses questions. À commencer par celle-ci : à partir de quand peut-on qualifier de berlinois un artiste originaire du Pays de Galles ? Considérons donc qu’il a émigré sur l’autre rive du Rhin depuis suffisamment longtemps pour cela.

Répétition, reproduction et réinterprétation pourraient se donner comme des mots-clés de la pratique de Rees. L’art a une histoire et il produit des histoires. Les références sont ici toujours très présentes, mais dans un usage pratique loin de les réduire à de simples citations. Ainsi, lorsqu’il défie Jonathan Monk ou Simon Starling au ping-pong (Variable Peace, 2006), Dan Rees réinterprète l’intérêt que Július Koller porte à ce sport – Ping-Pong Club, exposition de 1970 pour laquelle Koller invitait les visiteurs à jouer avec lui, Ping-Pong Monument (U.F.O.), 1971, Ping-Pong (U.F.O.), 2005, (Basel) Ping Pong Cultural Situation, 2007, etc. – ainsi que les onomatopées binaires d’Alighiero Boetti (Ping Pong, 1960) en conviant des artistes de la répétition, d’une génération intermédiaire, à converser tout en jouant. Les vidéos auxquelles ont donné lieu les parties filmées oscillent entre le pur enregistrement d’un événement somme toute bien peu cinégénique et la datation d’une sorte de passage de témoin entre artistes « conceptuels ». Toujours au rayon ping-pong, il est à mentionner que Dan Rees a photographié une très jolie balle en gros plan et a intitulé le cliché : Ryman vs Mangold (2005), soit l’union d’un blanc parfaitement monochrome à une courbe impeccable en un seul objet.

Dan Rees ‘Cadmium Yellow, Medium Hue, Flesh Tint, Dioxazine Purple, Bright Aqua Green, Red Vermillon, Payne’s Gray, Phtalocyanine Green and a Little Bit Of Black’, 2010 Acrylic on canvas and wall (installation view at New Galerie, Paris) Courtesy the artist and Tanya Leighton Gallery, Berlin and New Galerie, Paris

Dan Rees ‘Cadmium Yellow, Medium Hue, Flesh Tint, Dioxazine Purple, Bright Aqua Green, Red Vermillon, Payne’s Gray, Phtalocyanine Green and a Little Bit Of Black’, 2010 Acrylic on canvas and wall (installation view at New Galerie, Paris) Courtesy the artist and Tanya Leighton Gallery, Berlin and New Galerie, Paris

Parce qu’une battologie vaut mieux qu’un vulgaire pléonasme ou qu’une banale tautologie et parce que l’on sait depuis 1967 que le véritable artiste est celui qui aide le monde en révélant des vérités mystiques, A Good Idea Is A Good Idea (2009) est peut-être, en effet, une bonne idée. Dans cette série de peintures réalisées sur des pochettes du white album des Beatles, Dan Rees reproduit ses tableaux préférés : des Hockney, Mondrian, Malevitch, Klee, Thek, et bien d’autres, à sa manière. Bien peint, mal peint, repeint… Là n’est pas la question, même si quand même le Peter Halley n’est pas très propret et que les Mondrian présentent des empâtements un peu douteux. Ces images « font image », elles sont toutes des hits même si elles paradent habituellement plutôt sous forme de posters et autres cartes postales cheap aux abords des grands musées que recopiées à main levée. Ce n’est pourtant pas la première fois que Dan Rees massacre la peinture. Au sens littéral, cette fois, lorsqu’il réalise ses Squash Paintings, ces toiles blanches sur lesquelles il étale de l’acrylique directement au tube avant de venir les coller sur le mur adjacent pour créer en vis-à-vis deux peintures jumelles, dont l’une, sans que l’on puisse préciser laquelle, est le négatif de l’autre.

Lors de la dernière fiac, c’est une série de toiles toutes apprêtées différemment et accrochées comme on n’ose plus le faire, très proches et les unes au-dessus des autres, à la manière des salons de peinture, qui en prend pour son grade. Une longue traînée de spray noir les relie entre elles en un geste narquois à l’impertinence toute juvénile et pourtant non sans rappeler certaines toiles des années soixante de Martin Barré. Untitled (2010) dénature la peinture-objet en lui ôtant son individualité mais ne crée pas pour autant une véritable installation, à cheval entre in situ et pièces célibataires, à l’image du Wall Painting (1972-2004) de Richard Jackson pour lequel ce dernier utilisa des toiles comme pinceaux, les faisant pivoter sur elles-mêmes, face au mur et fraîchement enduites de peinture. Le hasard a ici toute sa place, pourtant il n’est pas l’élément déterminant de ces peintures, et ce malgré le fait qu’il en conditionne l’apparence.

De même, Dan Rees cherche souvent la collaboration, délibérée ou non, du public ou de tiers absolument extérieurs au contexte de l’œuvre en question. Ainsi il n’hésite pas à envoyer des cartes postales collées face à face, ne laissant apparents que les deux côtés écrits, et les adressant à deux personnes différentes, d’un côté au lieu d’exposition sensé présenter la pièce et, de l’autre, à un inconnu tiré au hasard dans l’annuaire ou habitant la même rue, un peu plus loin. Et comme le dit le titre de la pièce, The Postman’s Decision Is Final. La pièce sera-t-elle réalisée même si aucune des missives n’arrive dans l’exposition ? C’est une autre histoire.

Dan Rees ‘Untitled’, 2010 19 primed canvases, spray paint

Dan Rees ‘Untitled’, 2010 19 primed canvases, spray paint


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