r e v i e w s

Electric Op

par Sandra Doublet

Electric Op 
Exposition collective

4 avril – 31 août 2025
Musée d’arts de Nantes

Chacun voit ce qu’il croit voir sans réellement interroger sa relation à la chose visuelle. Avec « Electric Op », notre habitus se trouve bouleversé. Conçue en partenariat avec le Buffalo AKG Art Museum aux États-Unis et comptant des prêts prestigieux, dont une douzaine du Centre Pompidou, l’exposition retrace l’histoire de l’Op Art (art optique) en lien avec l’art numérique. On y découvre une exposition généreuse et accessible, comptant les figures emblématiques de l’art optique (Victor Vasarely, Jesús Rafael Soto, François Morellet…) au fil d’un parcours de plus de quatre-vingts œuvres.  

L’art construit et déconstruit le regard ainsi que la manière dont l’œuvre se présente à nous. L’œuvre dans le musée n’est pourtant regardée que quelques secondes… Avec « Electric Op », l’art optique glisse vers un illusionnisme où l’image se dissout dans un tourbillon d’effets vibratoires. Sollicitant le corps et la perception, le régime d’attention à l’œuvre se trouve augmenté. 

La relation entre abstraction géométrique et technologie met en lumière l’influence de l’histoire de l’art sur les arts vidéo et numériques. Le carré est par exemple une forme générative se déployant dans toute l’exposition. Voir, c’est se situer dans un espace soumis aux longueurs d’onde, aux sources lumineuses contraires : l’une, celle du musée ; l’autre, surimposée, et dont la fonction est de modifier les conditions du visible. La lumière va déterminer la manière dont on verra l’œuvre, tant par une relation de coprésence à l’image que par ses déviations. L’espace physique où se déploient les œuvres d’« Electric Op » devient un espace de discours en lien avec le numérique ; en témoignent les méthodes où les formes géométriques sont comme des profanations de la surface des images. 

Les grands atouts de cette exposition sont avant tout de nous immerger dans le sensible, et de faire l’économie des saturations parfois excessives des « arts numériques » et des travaux menés avec les I.A. génératives. Le parti pris n’est pas non plus celui des contre-cultures populaires et des environnements multisensoriels du psychédélisme. Ici, c’est le rapport au numérique qui est abordé dans ses prémisses et thématisé autour de grands axes : le pixel, la répétition programmée, la binarité, la 3D. La sobriété de la scénographie se veut un écrin noir et blanc, avec, au centre du dispositif, un espace dédié à l’expérimentation et à la médiation. Les contrastes et dynamiques de l’Op Art sont ici plus proches des « massages visuels » suggérés par Bridget Riley que des « bourreaux de la rétine » cités par François Morellet.  

Ryoji Ikeda (né en 1966), data.tron, 2007.
Installation multimédia : 1 vidéoprojecteur, 1 lecteur multimédia, 2 haut-parleurs, 1 fichier Mov, 4:3, couleur, noir et blanc, son, stéréo. Durée 6’. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle. © Ryoji Ikeda Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CC

Le parcours s’ouvre sur une première salle où les artistes se jouent de la perception visuelle du spectateur : air, poésie et effets vibratoires. Les œuvres associent la dissolution des formes en mêlant le principe d’une trame que des formes géométriques s’empressent d’étioler dans une immatérialité éthérée. Les artistes op et cinétiques introduisent de nouvelles relations aux œuvres. Chronos 8 (1967) de l’artiste Nicolas Schöffer, sculpture chronodynamique reflétant la lumière, nous introduits dans le vocabulaire clé de l’op art et de l’art cinétique. Schöffer nous invite à faire l’expérience de la durée. Puis vient une sensation de fluide, d’oscillations électriques. Dans les années 1960, l’informatique se développe, et les langages de programmation permettent d’explorer l’aléatoire, le hasard. Les artistes explorent des protocoles, comme l’œuvre de Laura Splan (Squint [Plisser les yeux]), portrait sismographique d’une grimace réalisée avec un métier Jacquard. 

La binarité chromatique, le noir et blanc, contrainte originelle de la technologie vidéo, nous invite à l’hypnose par de forts contrastes d’intensité. Les artistes se questionnent sur la matérialité des signaux visuels et sonores, on découvre des vidéos expérimentales ou bien la lentille rétroéclairée de Karl Gerstner (Lens Picture) créant l’illusion de la déformation. L’échelle nanométrique projetée sur grand écran de Ryoji Ikeda (Data.tron) se conçoit, elle, comme une transcription des flux d’un réseau. Les technosciences imprègnent notre quotidien, l’artiste en prélève les réalités atomiques. Il matérialise le code, lui redonnant une complexité que le fantasme de la neutralité nous fait ignorer.  

L’animation 3D occupe une place centrale, les références historiques et visuelles à l’Op Art y sont nombreuses. Les premières œuvres de cette section apparaissent dans un espace d’accrochage plus cloisonné, peut-être moins magique que précédemment. 

Subjectivité, politique et culture populaire vont émerger du minimalisme de la section « Pixel ». Le réalisme n’opère pas au moyen de représentations du monde, mais par reprise et altération d’éléments puisés dans la réalité même. Le pixel, comme motif assimilé et saturant une nouvelle ère médiatique à laquelle on ne peut échapper, se montre comme le fondement des œuvres présentées ici. Les figures alors devenues fantômes, les trames réintroduisent une dimension sensible dans les lignes de code. 

L’exposition se termine sur les dalles colorées du Disco Floor-Bootleg: 16 d’Angela Bulloch. L’œuvre offre un regard universel et amusé sur l’hyperprésence du pixel dans notre quotidien, une piste à admirer, et interdite à la danse, crée la frustration. Enfin, le monticule d’objets informatiques du duo LoVid pointe l’obsolescence du hardware comme un haïku de nos usages. 

Nicolas Schöffer (1912-1992), Chronos 8 , 1967.
Acier inoxydable, miroirs, moteurs, combinateurs, plateau tournant, circuit électrique, 308 x 125 x 130 cm. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-GP / Philippe Migeat © Adagp, Paris, 2025

Head image : Yvaral (1934-2002), Cristallisation jaune-vert, 1973.
Peinture acrylique sur toile, 200 x 200 cm. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Photo © Paris Musées, musée d’Art moderne, Dist. RMN-Grand Palais / image ville de Paris. © Adagp, Paris, 2025

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