r e v i e w s

Daniela Palimariu

par Agnès Violeau

Daniela Palimariu, The Stretching Room
RAD – foire d’art et de design, Bucarest, Roumanie

Your muscles need a different position, your brain needs a fresh start.  
Not just a break. A complete restart.  
With just 15 minutes in The Stretching Room we promise you’ll get exactly what you need ! 
All ages and fitness levels are welcome!1  

C’est dans le contexte d’une élection présidentielle très investie par les Roumains, qu’est présenté en mai 2025 le travail de la sculptrice Daniela Palimariu. Non loin de la frontière avec l’Ukraine, la troisième édition de la foire d’art et de design RAD ouvre ses portes au nord de Bucarest, avec son jardin de sculptures pensé sur le thème de l’alliance entre humain et non humain. 

Daniela Palimariu (1986, Bucarest) développe une pratique située construite sur le principe d’environnement à vivre. Ses pièces, incluant objets, installations relationnelles et événements (repas privés, aires de jeux, café publics…) mettent en scène l’ambiguïté des relations humaines dans nos espaces collectifs. Elle a également créé le project-space Sandwich avec son conjoint l’artiste Alex Niculescu : sans espace ni financement, ils se sont installés entre deux bâtiments en friche, faisant de l’interstice d’un mètre vingt un espace expérimental. En 2019, l’artiste s’attèle à un ensemble de pièces intitulé The Stretching Room. Installé dans le parc de la foire, le projet était initialement conçu pour le pavillon roumain de la Biennale de Venise 20192

Daniela Palimariu, The Stretching Room, 2019-2025, courtesy de l’artiste, photo : DR

The Stretching Room est une salle de fitness en plein-air, offrant aux visiteur.euses la possibilité d’une pause ou d’une remise en forme dans leur marathon de visite. Différents éléments à taille humaine reprennent, dans leur forme et leur interaction possible, les machines des salles de sport. L’usage offert des appareils (mot qui renvoie tant au fitness, qu’à la politique ou à l’exposition), libres d’activation, évoque les injonctions de notre temps à pimper son physique comme son image sociale. L’œuvre porte à notre attention un monde qui nous veut toujours plus désirable.  

La salle de sport et l’aire de jeu sont également des lieux où l’on se voit et regarde les autres. Suis-je bien positionnée (en face d’autrui) ? Puis-je tester de nouvelles attitudes ? Quelle est la bonne posture à prendre ? Suis-je responsable de mon bien-être ? Les manuels techniques, accompagnant tout appareil de sport, insistent sur une nécessaire régularité d’usage des machines, pour un développement optimal des muscles et du corps. Sans être autoritaires, ils indiquent avec précision un protocole d’activation à suivre pour atteindre un résultat visible. Il est alors question de performance (ici les deux sens se mêlent) au sens de réussite, sur un modèle capitaliste qui ne nous valorise que dans l’hyperaction. La montée actuelle européenne des populismes affecte, nous le savons, les dynamiques médiatiques qui autorisent une spectacularisation du soi. L’œuvre propose une alternative : prendre le temps de s’allonger contre une sculpture ou sur le sol, se reconnecter avec soi-même pour pouvoir repartir.  

Ce besoin de performativité, associée à la désirabilité, se trouve moteur en 2025 de toute l’industrie culturelle. Chez Daniela Palimariu, ces leviers sont réduits à une économie visuelle : les formes sont stylisées, les évènements synthétisés. L’artiste ici, loin de tout sensationnalisme, repense les codes de représentations des espaces urbains en associant gestes sportifs et mouvements du quotidien. La routine libre offerte par les sculptures praticables par tous.tes contredit notre époque où l’on se soucie moins des avancées sociales que des succès individuels ; où le débat public se privatise par des médias moralisateurs ; où la science est reniée au profit d’illusions New Age. L’œuvre fait office de support de maintenance pour un corps social fatigué. Elle convoque en sous-texte l’immobilisme actuel à entrer en action face à un nouvel ordre mondial, organisé sur des rapports de force, entre nous-mêmes et à l’égard de la nature. Mais l’écologie n’est pas une décroissance : elle appelle à toutes les croissances fondamentales, comme l’empathie,  le care, la connaissance de l’autre. The stretching Room invite à développer son sens critique, à faire preuve de souplesse et créativité, vitales face aux montées des régimes totalitaires.  

Daniela Palimariu, The Stretching Room, 2019-2025, courtesy de l’artiste, photo : DR

Enfin, les machines de sport se réfèrent usuellement à un corps d’homme, répondant aux standards des sociétés patriarcales. Elles pourraient le réduire à des données mesurables et normées, tels des objets à étudier. Adorno et Horkheimer, dans “La dialectique de la raison” paru en 1947, interrogeaient déjà le progrès comme possible outil d’asservissement des individus et de leurs comportements. Ces réflexions s’appliquent également sur l’industrie, qui entretient un standard de conduite. Les objets d’usage pourraient ainsi uniformiser nos comportements. Dans le design par exemple, le référent est masculin. Les iphones sont dessinés à la taille d’une main d’homme blanc, le mobilier dans l’espace public est pensé pour un genre, et l’industrie plus largement (les transports publics, la pharmaceutique et ses tests effectués sur des hommes etc.). Ici les sculptures sont faites d’après les mesures de Daniela Palimariu dont le corps devient unité. On pourrait presque y voir une allégorie du travail d‘artiste, dont l’entraînement et la pratique permettent de rester dans la course, malgré les schèmes structuraux.  

The Stretching Room parle de l’inconvenance à commenter le monde en restant assis. L’installation invite à l’exercice d’étirer nos esprits comme on étire son corps, à penser le commun non comme une entreprise, mais le lieu d’un élan chorégraphié ensemble. 

  1. Éléments de langage promotionnels de salles de fitness, repris ici comme outils de médiation.
  2. Commissaire du projet, j’en partage ici les enjeux dans un nouveau contexte.
Daniela Palimariu, The Stretching Room, 2019-2025, courtesy de l’artiste, photo : DR

Head image : Daniela Palimariu, Pool Party, 2018, courtesy de l’artiste et Sandwich Bucarest, photo : DR


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