Quinzaine Photographique Nantaise (QPN)
QPN – Festival de photographie, Nantes
29ème édition « RÉALITÉ »
Du 29 septembre au 2 novembre 2025
D’année en année, la QPN de Nantes prend de l’ampleur, gagne sa place dans l’espace des festivals photographiques nationaux, développe des approches ouvertes, agrégeant autour d’elle plusieurs associations et galeries, mutualisant les idées et les énergies. Résultat : 14 lieux d’expositions, entre Nantes, Saint Nazaire, Le Pouliguen, la Chapelle Basse Mer, proposent 21 expositions, offrant au public un regard large, intelligent, parfois inégal, mais toujours généreux sur la photographie contemporaine.
Chaque année, le travail de programmation se fait autour d’une thématique, dont les contours élastiques et parfois paradoxaux permettent des approches ouvertes, surprenantes, décalées… En 2024, la thématique retenue était « L’illusion », explorant la façon dont les procédés photographiques (dès l’origine, jusqu’à l’utilisation de l’IA) permettent de détourner le réel, de le distordre, de le faire mentir. Cette année propose un contre point. Intitulé « Réalité », (au singulier), la QPN, interroge les relations de la photographie et des photographes au réel.
Comment capter et rendre compte du réel ? La photographie, dont on pouvait penser qu’elle était le meilleur moyen de prendre en image le réel, s’avère souvent trompeuse : le cadrage, le point de vue, la mise en lumière dirigent le regard, induisent la lecture, construisent un récit, décomplexifient la réalité, s’arrangent avec la vérité, corrompent l’interprétation, ou restent floue…
Ainsi, les stratégies mises en place par les photographes présentés cette année se complexifient, explorant des dispositifs multipliant les médiums et les approches. Parfois documentaires, parfois proches du journal intime, s’appuyant sur un véritable travail d’enquête, cherchant une connexion avec les modèles, portant un regard méthodique et distancié sur un groupe ou un territoire, revisitant l’histoire de la photographie, chacune des propositions invoque une relation particulière au réel.

Arrêts sur images. Les rades et restos routiers de Guillaume Blot – L’Atelier, Nantes
Pendant 5 ans, Guillaume Blot a sillonné les routes de France et photographié les bistrots populaires, leurs patrons, leurs habitués. Fasciné par ses lieux en « voie de disparition », il en saisit la vitalité, la richesse, la joie. Sa série « Les Rades » prend place dans un accrochage explosé sur les cimaises de l’Atelier, dressant le portrait riche en couleur d’un monde, d’une culture, aussi formidables que malmenés. De la même manière, sa série sur les restos routiers, trace une carte gourmande, gouailleuse, riche, colorée de ces relais de bords de route où les camionneurs, VRP, travailleurs en déplacement s’arrêtent pour un moment de repos et de convivialité. Il arrive à en saisir la richesse et la diversité, la bonne humeur. Par un dispositif sériel et un accrochage dynamique, il multiplie les points de vue, donne une vision plurielle à une réalité populaire souvent déconsidérée. Pour sa prochaine série, il s’intéresse aux salons de coiffure. À suivre…

War On Us, d’Adeline Praud – L’Atelier, Nantes
La proposition d’Adeline Praud devient presque politique. Pendant 6 mois, elle est partie vivre dans une maison de transition américaine, qui accompagne, à leur sortie de prison, des personnes vivant avec des troubles dus à l’usage de drogues. Cela fait partie de son processus créatif. Pour chaque nouvelle série, elle s’appuie sur une cohabitation et sur un impressionnant travail d’enquête. Pour « A War On Us », elle s’intéresse aux dégâts provoqués par les opioïdes développés par l’industrie pharmaceutique américaine. Le travail photographique d’Adeline Praud dépasse la seule approche photo-journalistique, soulignant, par des procédés de composition, de colorisation, l’impact de la drogue sur la vie des gens et des communautés qui la subissent. Fonctionnant comme une installation mêlant textes, slogans, photos, sa proposition dépasse l’image, multiplie les entrées et lectures.

« Parce que. Ici » – Anne Desplantez & les enfants du Sarthé – L’Atelier, Nantes
Se coltiner avec la réalité. Ne pas rester à distance derrière son appareil photo, mais mener un travail de lien, de relation, de cohabitation, de collaboration. Approcher, apprivoiser, écouter pour mieux capter quelque chose de la réalité. Et si tout cela passait aussi par la sensibilité de la photographe autant que par celle de l’appareil ou du papier ? Pendant trois ans, Anne Desplantez a côtoyé, travaillé avec les enfants placés au foyer de Sarthé. Mêlant ses photographies à celles des enfants, les accompagnant de textes écrits à la main, elle compose une série qui dépasse la linéarité du documentaire, proposant un accrochage « polyphonique », permettant une approche presque « impressionniste » de la réalité.

« L’odeur de muguet » – Thomas Louapre – Espace 18, Nantes
Thomas Louapre photographie sa mère âgée de 83 ans et atteinte de la maladie d’Alzheimer. La photo devient mémoire autant que lien. La série fonctionne comme un journal intime, traçant, interrogeant autant la maladie, la fragilité, la relation d’un fils à sa mère. « Moi qui ne l’avais que très peu photographiée jusqu’à présent, je veux prendre le temps de l’observer, de continuer à vivre des moments avec elle, l’emmener sous la pluie, souffler dans un brin d’herbe entre ses doigts tordus pour le faire siffler, l’accompagner chercher les œufs des poules qu’elle peut oublier dans ses poches au retour, lui rappeler de mettre son appareil auditif, … »

« Paysageries » – Jean Marc Thébaud – La Générale, Nantes
Accrochage brut, sur les murs de la cafétéria de la Générale. Il faut passer entre les tables pour voir les images sur de simples tirages papier. C’est cohérent, sans concession, de cette beauté pauvre, touchante, indispensable. Jean Marc Thébaud capte les paysages des zones péri-urbaine de la ruralité maugeoise. Il saisit la réalité banale, presque laide d’un monde abimé, transformé, abandonné, tellement proche, qu’on ne le voit plus.

Trouver sa place – Bertrand Vacarisas – Entre 2 ponts, La-Chapelle-Basse-Mer
Une des belles salles de l’Entre 2 Ponts, bar restaurant sur la Divatte, face à la Loire, a été conçue en lieu d’exposition. Son allure de salon lumineux, agréable, ses larges cimaises, ses assises, donnent au lieu quelque chose de serein et détendu. La proposition de Bertrand Vacarisas y trouve sa place, jouant entre l’exposition photographique et la narration sonore. À côté de chaque portrait photographique, un QR code permet d’accéder à une bande son, témoignage, récit, texte poétique. Celle-ci transporte le visiteur dans une autre dimension, au-delà de l’image. La visite de l’exposition se décline en différents chapitres, demandant un autre temps au regard que l’on porte habituellement sur une photographie.

Front 2005-2007 – Trish Morrissey – Galerie Hasy, Le Pouliguen
Le protocole mis en place par Trish Morrissey pour « Front » est malicieux et interroge avec humour la véracité, la réalité de la photo de famille de bord de plage. Réalisée sur les côtes du Royaume Uni, près de Melbourne et en Australie, chaque photo met en scène une famille, installée sur la plage, avec tous ses accessoires balnéaires. Pour ces clichés réalisés à la chambre, composés avec rigueur, la photographe échange sa place avec celle d’une des femmes du groupe (la mère, la sœur, l’amie), intégrant autant l’image que la famille. Elle inverse les rôles, infiltre la réalité, décalant la photographie spontanée de famille dans une autre dimension. Chaque image porte le nom de la femme que Morrissey a remplacé et qui est l’auteure (déclencheuse) du cliché.

Maison Radieuse : © Fondation Le Corbusier / ADAGP
L’enfance radieuse – Photographies d’une Unité d’Habitation – Pierre Allard et Jean Suquet – L’Atelier, Nantes
En 1961, deux institutions, l’Institut Pédagogique National et la Documentation Française, commandent à deux photographes, Pierre Allard et Jean Suquet (salariés de l’IPN) de faire un reportage à Rezé sur la vie quotidienne des habitants de la Cité Radieuse. Ils réalisent plus de 600 clichés, adoptant un point de vue à hauteur d’enfant, tentant de rendre compte d’une vie populaire heureuse répondant aux utopies sociales et architecturales portée en cette période de reconstruction et de modernisation. L’objectif est à la fois humaniste et forcément politique, reflet d’une société qui se veut positive, performante, moderne, jeune, donnant sa chance à tous. Images de commande, images d’archives, images nostalgiques, images qui écrivent une histoire, celle portée par l’idéologie du commanditaire ?

Les murmures du trait – Zhu Hong – Passage Sainte-Croix, Nantes
L’approche de Zhu Hong est sans doute la plus surprenante et la plus conceptuelle. Sur papier noir, avec son crayon blanc, elle a redessiné, à la même échelle, toutes les images illustrant le livre de Charlotte Cotton, « La photographie dans l’art contemporain » les alignant sur le mur comme autant de négatifs fantomatiques. Aussi intelligente que perturbante, l’approche renverse le regard. Au-delà de l’appropriation, l’artiste interroge son rapport à l’histoire de la photographie, saisissant l’évanescence des images et des lectures que l’on peut en avoir.
Head image : © Jean-Marc Thébaud – Paysageries
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