Week-end à la Tate Modern

par Patrice Joly

Week-end de performances à la Tate modern

Par Patrice Joly
A la fin février (20 et 21), la Tate modern a programmé dans le cadre de Paris Calling, Saturday Live Characters, Figures and Signs, une série de performances et d’interventions diverses réunissant des acteurs du monde l’art et de la danse contemporains. Organisées par Vanessa Desclaux, assistant curator à la Tate, le but de ces rencontres associant chorégraphes, performeurs et critiques, était de présenter des créations très récentes au public de la Tate mais aussi de montrer que ce qui divise a priori ces deux mondes est bien moins éloigné que ce qui les rapproche et que certains chorégraphes se retrouvent sur des terrains extrêmement proches de ceux d’artistes dont la pratique aborde occasionnellement les contrées de la performance. Un des intérêts de ces rencontres aura aussi été d’exhiber une réelle exubérance formelle et d’inspiration et de montrer que le monde de la performance aborde aussi bien les rivages de l’histoire de l’art que celui de la signalétique maritime, de la biographie ou bien de la revisitation des protocoles gestuels à la cour de Louis XIV… Tout ou presque est désormais prétexte à performance et l’antique champ de cette dernière qui la cantonnait dans une espèce de mixte de danse contemporaine arythmique, syncopée ou encore convulsive et lyrico-symbolique a bien vécu… Avec la performance de Guillaume Désanges, Signs and wonders, il s’agissait de mettre en scène une histoire critique du minimalisme via un procédé pour le moins singulier s’agissant d’une entreprise artistique dont les principes n’avaient jusque là pas brillé par leur vertus drolatiques : aussi le dispositif de Désanges qui allie théâtre d’ombres et démonstration par l’absurbe du non-dit mystico-métaphysique du discours minimaliste fait mouche. Xavier Leroy, habitué de la scène et performeur à l’itinéraire contrarié représentait Products of circomstances, une pièce de son «répertoire » qu’il rejoue régulièrement, l’augmentant à chaque fois de nouveaux commentaires et de l’épaisseur d’une stratification biographique qu’il intègre résolument dans le déroulé de la pièce : pour ceux qui ne connaissent pas cette œuvre de Leroy et le monde des performeurs en général, il est clair qu’elle constitue une introduction plutôt enthousiasmante à son univers et à celui de la perf’ en instituant une réelle articulation avec des sources biographiques mais aussi avec d’autres préoccupations, que l’on peut qualifier de morales. Leroy sait très bien nous expliquer que le moteur de son inspiration est du même ordre que celui qui l’a fait fuir la recherche scientifique et de la même manière celui des chorégraphies formatées : ces dernières pouvant tout aussi bien le faire s’éloigner de sa pratique s’il s’avère qu’elles présentent les mêmes risques de dérives spectaculaires et/ou carriéristes à l’opposé d’une exigence primordiale de créativité. Une autre vision de la performance était représentée par Paolo Bronstein qui s’est attaché à repérer au sein de l’univers de la cour de Louis XIV une gestuelle a priori maniérée mais subtilement signifiante d’une signalétique du pouvoir que le chorégraphe s’est visiblement fort amusé à mettre en scène comme autant de piécettes jubilatoires. Ce week-end de performances était aussi parsemé d’interventions de critiques d’art et d’artistes dont notamment celle de Bojana Cvejic, auteur de performances et artiste, qui s’attacha à démontrer le caractère précurseur de l’art d’Yvonne Rainier. Une conversation entre Tino Sehgal et Catherine Wood (chief curator à la Tate modern) eut le mérite d’éclairer singulièrement les positions radicales de l’artiste berlinois.
Enfin, nous terminerons ce rapide panoramique par la performance du duo d’artistes français Julien Bismuth et Jean-Pascal Flavien qui réalisèrent la plus spectaculaire de toutes ces œuvres en brisant résolument la sacro sainte alliance entre un public rivé à son fauteuil et un vis à vis scénique. En embarquant les spectateurs sur un vrai bateau et vers une destination surprise (au milieu de la Tamise, en face du bâtiment de la Tate), le duo réussit déjà la prouesse de désorienter un public habitué au confort et à la normalité d’une représentation en salle. En s’adressant par la suite à ce même public via une véritable dérive poétique “doublé” par son pendant en langage des signes maritimes, les deux artistes réalisent un réel déplacement à la fois grâce à l’emploi d’une langue purement “étrangère” mais aussi dans la déception de l’attente d’une chute programmée (comme le laisse entendre de titre de la performance, Plouf !) qui n’arrive jamais. Et quand bien même cette performance ne radicalise pas fondamentalement le rapport public/performeur malgré la séduction du dispositif, elle contribue largement à en renouveller les conditions de représentation par une extraordinaire fluidication du décor et des conditions de représentation.

UBS opening : Saturday Live Characters, Figure and Signs était présenté dans le cadre de Paris Calling, une saison franco-britannique des arts de la scène, organisée par l’Ambassade de France à Londres
http://www.tate.org.uk/onlineevents/webcasts/ubs_openings_2009/characters_figures_signs_free/default.jsp

A noter que la performance de julien Bismuth et Jean-Pascal Flavien, plouf ! sera re-présentée dans une nouvelle version à la Biennale de L’Estuaire, dans un programme réalisé par la zoo galerie, Delta d’Estuaire.

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