Walt Van Beek à Hectoliter galerie

par Isabelle de Visscher Lemaitre

It is a total way of using what the city offers you !

Son énergie, c’est la ville et son matériau, les relations qui s’y tissent des êtres aux choses. Quand il déambule à Naples, Walt Van Beek repère cet homme à un carrefour qui plaque des paquets de mouchoirs en papier sur des pare-brises de voiture, cherchant à les vendre aux chauffeurs. L’action est répétitive. Elle déclenche la formation d’un territoire que WVB filme et cadre du haut d’un pont. L’œuvre consiste pour beaucoup en une « performance trouvée ». La vidéo qui en résulte est projetée sur trois vitres de pare-brise superposées dans la galerie alternative Hectoliter (Bxl). Plus qu’une simple tautologie, c’est l’image scintillante et fragmentée défilant sur ces pare-brises fissurés (j’y reviens), qui frappe. Comme si on avait à faire au format d’une œuvre de peinture revisitée : avec son sujet, l’homme aux mouchoirs, et sa perspective, le dédoublement de la surface en plans feuilletés, rehaussés de fenêtres successives. Du caractère pictural de ce travail aux contours pourtant de l’ordre de l’urban design, je tiens pour autre preuve ces mêmes pare-brises brisés à coups de maillet au cours de la « performance actée » par WVB à l’ouverture de l’exposition – et exposés un à un sur les murs. Si le geste était brutal et le son aigu et sourd, WVB agissait par à-coups prenant du recul, ajustant son tir et composant sa surface. Sans savoir que le dripping filmé par transparence de Pollock l’a été sous un pare-brise de camion (film de Hans Namuth et Paul Falkenberg, 1950), le jeune artiste belge se réclame intuitivement d’un rapport à cet all over obtenu par filets de peinture versés, analogue en somme aux fissures qu’il obtient sur le verre trempé. Bien sûr, l’œuvre fonctionne sur un autre mode qui inclut la ville et son battement. Elle donne aussi lieu à un résultat différent qui rejoint la façon qu’a eue Pipilotti Rist de fracasser les pare-brises de voiture en rue avec une fleur géante (Ever is over all, 1997).

vue de la performance lors du vernissage de l'exposition à la galerie Hectoliter.

A la KK Gallery (VUB, Bxl), espace universitaire qui fonctionne comme une plateforme de l’art, WVB fait intervenir son objet obsessionnel, celui qu’il enterre, qu’il balance, qu’il transforme, qu’il exporte et qu’il soumet à diverses mutations : le container à verre. Ce volume arrondi qui fait office de nouveau mobilier urbain à compter de la fin des années 1970, WVB s’en réclame comme d’un souvenir d’enfance. Cette forme parfaite ne le lâche plus en effet (on le trouve sous forme miniaturisée de chocolat en tête-de-nègre à la précédente galerie) d’autant que l’artiste constate sa progressive disparition (et son remplacement par un nouveau modèle carré et « moche »). Aussi dans ce vaste espace, on en rencontre deux peints d’une ligne en spirale pour le premier, d’une ligne verticale et de plus en plus évasée pour le second. Une projection de petit format nous en fait voir un autre sur sa tranche et comme tournant à la broche. Enfin, dans un caisson lumineux, on reconnaît Gläso Noisebomb où deux de ces bulles à verre (comme on les nomme en Belgique) sont colmatées par leur base pour reposer telle une bombe sur le toit d’une Citroën C15. L’association improbable de ces deux espaces vides (ou quasi) roulant ou potentiellement rotatif, autour desquels on tourne mais qui nous tournicote autour (avec la bande son qui les habite notamment) : voilà typiquement un double bind tel que les construit WVB, jouant du paradoxe entre les formes étant à la fois tenues dans leur différence, et unifiées par une nouvelle alchimie … étrange et absolument singulière.

hectoliter.be // Kultuurkaffee // Walt Van Beek

  • Partage : ,
  • Du même auteur :

articles liés

AD HOC

par Elsa Guigo

Bivouac, après naufrage

par Alexandrine Dhainaut