Sylvain Baumann

par Laure Jaumouillé

WHEN I LOOK AT THINGS, I ALWAYS SEE THE SPACE THEY OCCUPY

Kunsthalle, Bâle

L’œuvre de Sylvain Baumann porte sur la manière dont l’architecture détermine notre état intérieur, notre comportement. L’artiste s’intéresse tout particulièrement aux espaces de transit dans lesquels l’individu apparaît comme le passager clandestin d’un non-lieu[1]. Par ses installations, Sylvain Baumann invite le visiteur à traverser un espace aride et désincarné, déserté de toute présence humaine. Les dispositifs qu’il crée sont d’une neutralité[2] glaçante, évoquant une architecture anonyme, incarnée par sa seule fonctionnalité.

Pour son exposition à venir à la Kunsthalle de Bâle, Sylvain Baumann envisage la mise en espace d’objets singuliers, qu’il nomme Bardages. Revêtement en tôle métallique, le bardage est un matériau de construction usuel. Utilisé comme un moule, il donne naissance à des formes semblables à des fossiles, nées d’une empreinte. Ces dernières invitent le spectateur à s’infiltrer entre deux matières, « dans l’intériorité inaccessible du contact »[3] dont l’objet est issu. Le regard, devant l’empreinte, est happé vers le détail, l’accident morphologique de la texture. Il glisse ainsi sur une surface dont il interroge les aspérités, sans parvenir à saisir l’objet avec distance.

Pourtant, l’installation des Bardages dans l’espace d’exposition ouvrirait un champ de réflexion englobant l’ensemble de son volume architectural. Avant tout contextuelles, les œuvres de Sylvain Baumann entrent en relation avec leur environnement. Ainsi, la démarche de l’artiste peut être envisagée dans le prolongement de celle des minimalistes américains, selon une implication théâtrale[4] du spectateur dans la perception de l’œuvre. On peut donc se demander de quelle manière les Bardages de Sylvain Baumann tendront à entrer dans une relation contextuelle avec l’espace d’exposition de la Kunsthalle.

La fixation du Bardage au mur de l’espace d’exposition est à la fois technique et conceptuelle. Elle invite à considérer l’envers de l’objet : la coulée de ciment donnant naissance à une surface amorphe, tenue par une structure en métal. Ainsi, l’œuvre évoquerait l’envers du construit, engageant le spectateur à sonder l’intériorité du mur qui la supporte. Derrière une couche de peinture blanche, le plâtre. Derrière le plâtre, des parpaings de béton masquent un système de plomberie. Enfin, le mur porteur incarne la volonté politique qui sous-tend l’ensemble de la construction. Les Bardages de Bâle seront-ils les reflets de cet arrière-plan invisible ?

L’art de Sylvain Baumann tend vers un déplacement de l’attention du spectateur. Non plus uniquement concentrée sur l’objet exposé, celle-ci investirait l’envers de l’espace architectural, tout comme ses strates physiques et symboliques. Les Bardages installés dans l’espace d’exposition auraient pour objet de désigner la fonction déterminante du mur dans le contrôle des esprits et des comportements. L’exposition de Bâle sera vraisemblablement l’occasion d’un nouveau développement de cette pensée architecturale. Pourtant, une telle intervention in situ ne saurait aller sans quelques surprises…

 



[1] Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du XXe siècle, Seuil, 1992

[2] « Le neutre, le neutre, comme cela sonne étrangement pour moi », Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p.102.

[3] Didi-Huberman, Georges, La ressemblance par contact, archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte, Les Editions de Minuit, Paris, 2008, p.121.

[4] Michael Fried, Art and Objecthood, Artforum 5, juin 1967, p.12-23.


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