Septembre marseillais

par Celine Chazalviel

Undig your own hole (1).

A Marseille en septembre, vernissages, performances et sorties de publications se concentrent au moment du salon art-o-rama. Rejeton de la foire Art Dealers initiée en 1997 par Roger Pailhas et interrompue en 2006 après la mort de ce dernier et la fermeture de sa galerie, art-o-rama maintient depuis 3 ans le principe d’une foire à petite échelle avec chaque année de nouvelles galeries sélectionnées sur projet, l’invitation faite à un artiste d’occuper un stand et une exposition sous forme de project room. Cette année les galeries Fùcares (Madrid), Hoet Bekaert (Gand), Maribel Lopez (Berlin), N.O. (Milan), Objet de production (Paris), Olivier Robert (Paris) et Schirman & de Beaucé (Paris) se sont partagé le vaste plateau de la Cartonnerie de la Friche la Belle de Mai. Emilie Perroto, artiste choisie en 2008 par les galeristes participants pour être l’invitée de l’opus 2009, eut cette année l’occasion d’expérimenter un vaste échantillon des formes communément investies par les artistes. Commençant par la création du logo art-o-rama fait de lettrages et de silhouettes de chutes de bois (2), en passant par une publication et un multiple aux Editions p. jusqu’à la conception de son stand d’exposition, elle a su tirer parti de cette simultanéité et d’un espace très standardisé où se joue toutefois quelque chose d’intimiste.

Emilie Perotto, stand art-o-rama, vue d'ensemble, 2009 crédits photo : Christophe Bouvier

Dans une ville dépourvue de marché (3), cette mini foire est l’occasion de réunir des collectionneurs le temps d’un week-end. Amateurs et acteurs en tout genre de la scène artistique étaient directement visés par le gala de soutien de Triangle organisé pour la deuxième année. Forte du constat des limites du développement de ses activités, cette structure de diffusion et d’aide à la création, a puisé dans le modèle économique américain et sorti du chapeau l’idée d’un gala. Tablant sur la générosité des artistes ayant reçu un jour l’appui de Triangle – résidence, production etc. – et le besoin de diffusion des plus jeunes d’entre eux, le gala-tombola proposait un ensemble de 51 œuvres offertes par les artistes et présentées en all over, attendant de rejoindre leurs acquéreurs. Si la soirée ne pouvait être réellement palpitante que pour les « joueurs » impatients de voir leur ticket tiré au sort, il était plaisant de constater que la plus-value n’était pas le principe dominant. Out Mathieu Mercier et Daniel Firman. C’est Julie Dawid, jeune artiste de 25 ans, qui, la première, a vu son dessin décroché et emballé dans du papier kraft. Comme dans tout jeu, l’important étant avant tout de participer, certains artistes avaient confié de « petites » pièces tandis que d’autres avaient produit des œuvres spécialement pour l’occasion. Notons aussi que circulait un tract rédigé au nom de ceux qui refusaient que des artistes soient ainsi sollicités pour servir une loterie (4).

Norma Jeane Potlatch 42

Emilie Perotto, Quand on a mangé la chair il faut ronger l’os, 2009

Cette dynamique de rentrée était aussi impulsée par les vernissages des galeries marseillaises, tout au long du salon -sous sa forme « foire » le temps du week-end et « exposition » au moment où les galeristes ont laissé place aux médiateurs – soit pendant 10 jours. Rlbq, en collaboration avec Triangle, proposait Sculpture d’accueil de Guillaume Alimoussa et Nicolas Guiot ou comment concilier formalisme, radicalité de l’objet laissé à sa valeur d’usage et main tendue vers le visiteur. Mais en contrepoint, l’ambiance générale est un peu morose. La Ville de Marseille a voté en juin une baisse de subvention de 15% appliquée à tout le secteur culturel. Alors qu’après la nomination de Marseille capitale européenne de la culture 2013, la ville s’était engagée à ne pas imputer sur les budgets des structures culturelles les fonds nécessaires à ce projet d’envergure – on se serait plus attendu à l’inverse -, des choix stratégiques semblent s’opérer. L’idée de privilégier certaines structures au détriment d’autres « peu performantes » (5) n’a pas vraiment été jugée acceptable par les acteurs locaux, d’ailleurs auteurs d’une pétition. En réponse, la ville annonce un rattrapage, mais qui sera bien sûr soumis à un nouveau vote, au mois d’octobre.

exposition à rlbq

Nicolas Guiot, RLBQ (Folie II), 2009

L’absence de réelle politique culturelle de la part de la ville crée un climat plutôt propice aux coups de gueule et aux reconsidérations, mettant certains face au mur et d’autres, parfois les mêmes, sur la voie de la réflexion pour tenter d’inventer de nouveaux modèles structurels, économiques mais aussi programmatiques. Avec en ligne de mire l’échéance de 2013 et la perspective d’un nouvel aménagement du site de la Friche avec le « Lieu déconfortant » (voué à l’interdisciplinarité), un plateau art contemporain et un complexe cinéma, le Cartel, regroupement d’opérateurs arts visuels de la Friche (6), est actuellement chargé d’étude pour ce projet.

Faisant office de défouloir à vertu cathartique, reste à citer l’exposition Sleeping Beauty Goes Wild de Norma Jeane, présentée par Sextant et plus jusqu’au 24 octobre. Anéantissant un à un les principes de la croissance, au sens capitalistique du terme, deux aspirateurs fonctionnent en circuit fermé jusqu’à leur supposée destruction, des produits alimentaires sont laissés en proie au dépassement de leur date de péremption et des pommes de terre de consommation s’engagent dans une lutte sans merci en faveur de la germination, laissant les moins conquérantes sur le carreau. Le soir du vernissage, des participants volontaires endossaient le rôle de l’artiste, équipés de casques, de chaussures de sécurité, avec à disposition pioche, hâche, masse et maillet et munis de lecteur mp3 diffusant le très chargé morceau d’Underworld – b.o. du film Trainspotting –  pour s’adonner à la destruction ostentatoire de biens électroménagers le temps du morceau. La charge rituelle de la séance laissait présager d’une délivrance (7), juste touchée du doigt.

Céline Chazalviel

liens à ajouter

http://www.marseilleexpos.com/

(1)    Titre emprunté d’une pièce de Norma Jeane présentée dans l’exposition Sleeping Beauty Goes Wild, proposée par Sextant et plus, Marseille.

(2) Réalisé en collaboration avec Claude Valenti.

(3) On pourrait revenir sur le court épisode de la galerie VF qui avait ouvert ses portes en mars 2007 et dû les refermer courant 2008 du fait du recul de ses investisseurs à l’aube de l’actuelle crise financière.

(4) « Tombola artistique de Triangle = 1. Loterie généralisée + 2. Détournement de fonds + 3. Paupérisation culturelle des artistes »

(5) Michel Henry in Libération, 23 juillet 2009, Culture: Marseille, capitale en mal de capitaux .

(6) Astérides, Dernier cri, Documents d’artistes, Group (art-o-rama),Triangle et Sextant et plus.

(7) Dans Potlatch 4.2 selon l’ancien rituel sacrificiel des sociétés du Nord-Ouest américain, Potlatch, l’action de destruction constitue le symbole du renoncement à l’intérêt personnel, à des fins de maintien d’équilibre économique et social. Le mauvais sort relatif au fait d’accumulation des richesses est alors déjoué. Par la destruction, l’acteur se délivre des pouvoirs maléfiques induits par la possession outrancière. Par Leïla Quillacq.


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