Optimundus, Thys et de Gruyter au Mukha

par Marie Frampier

Nous nous souvenons de l’exposition Dr. Curlet reçoit Jos de Gruyter et Harald Thys, présentée au Plateau – Frac Ile de France en 2007. François Curlet offrait un espace de monstration et d’expression au duo d’artistes belges Jos de Gruyter et Harald Thys, qui transforma alors le lieu en un temple de l’absurde et de l’idiotie. Tout était gris, du sol au plafond, des murs aux œuvres elles-mêmes. Constitué de noir et de blanc, d’une apparente et trompeuse neutralité, le gris devint la couleur étendard du tragi-comique et du malaise ontologique que Thys et de Gruyter mettent en exergue et magnifient dans leurs œuvres.

L’exposition Optimundus, présentée au Muhka à Anvers (Belgique), n’est pas une somme d’œuvres anciennes et récentes, posées ici comme elles pourraient l’être là. Ce n’est pas une rétrospective qui nous permettrait de comprendre la chronologie et l’évolution de la logique de pensée et de faire de ces deux artistes. L’exposition monographique est profondément ancrée dans l’ici et maintenant.

Jos de Gruyter & Harald Thys, exhibition view MUHKA 2013, photo MUHKA.

Tout est blanc. La scénographie de l’exposition est précise, incluant les nombreux piliers de l’espace central comme autant de moyens de rythmer visuellement le parcours du visiteur, et de faire écho aux œuvres mêmes de l’exposition et à leur mode de présentation (Der Schlamm von Branst, 2008; White Elements, 2012; De drie wijsneuzen, 2013). Les sculptures sont tournées vers le visiteur entrant mais dialoguent néanmoins les unes avec les autres. Cela crée le sentiment étrange d’entrer dans un monde empli de créatures grotesques et rigides à la complicité tacite. Les sculptures-marionnettes de l’exposition (Hildegard, 2013; Der Doktor, 2013; Kitty & Katty, 2013; Twee vagebonden, 2013) sont des figures à l’humanité bafouée et à la noirceur exacerbée. Les masques cachent et dédoublent, théâtralisent et réfléchissent l’image que nous avons de nous-mêmes. Ils sont ici le symbole d’une perte d’individualité et le signe d’une appartenance à une communauté proche mais différente de celle des êtres humains. Un homme sans tête, des regards vides ou bidirectionnels, des cheveux sur le visage et des habits déchirés, un corbeau sur l’épaule et de longs couteaux dans les mains, ces personnages faits de guenilles et de polystyrène semblent perdus dans la dureté de leur condition et dans le vide abyssal du quotidien, rendu explicite par la multiplicité des dessins de tramways qui ceinturent l’espace d’exposition. L’absurde apparaît existentiel. Les problématiques abordées dans les vidéos sont similaires. Les personnages qui peuplent les lieux apparaissent à l’écran, inanimés ; ils dialoguent ou monologuent avec des voix synthétiques d’ordinateur quelque peu agressives tant elles sont monotones et robotiques (Das Loch, 2010).

Un espace à la fin du parcours se détache visuellement de l’ensemble. Tout est noir : les socles mais aussi les panneaux sur lesquels sont accrochés les dessins supposément réalisés par Johannes, peintre du dimanche et cliché romantique représenté en train de peindre (Johannes, painter 1947 – 2010, 2011). L’amateurisme est mis en scène et magnifié à travers Johannes et sa production artistique fictive mais il apparaît aussi chez Thys et de Gruyter comme un choix esthétique récurrent et une manière assumée de faire et d’être. Les traits sont à peine esquissés dans leurs dessins ; les vidéos font montre d’effets visuels désuets, les mannequins sont confectionnés avec des matériaux et des habits de seconde main et les sculptures de glaise sont, pour certaines d’entre elles, à peine modelées.

Jos de Gruyter et Harald Thys évoquent un monde parallèle créé par la rencontre du quotidien et de nos tourments psychologiques. Le monde qu’ils nous proposent est idiot, absurde, profond, tortueux, généreux et exigeant. Il est une contre-utopie en laquelle l’on se sent bien. « Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter », disait Samuel Beckett.


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