Laëtitia Badaut Haussmann / Not even even

par Arlène Berceliot-Courtin

Not even even, la deuxième exposition personnelle de Laëtitia Badaut Haussmann, confirme un rapport spécifique au champ de l’image avec une attention particulière portée au mouvement et à son enregistrement.

Le premier visuel de l’exposition visible uniquement à travers la vitrine de la galerie représente un coureur arrêté dans son élan. Image figée ou image truquée, le corps semble ici déformé par l’objectif. Il est contrarié dans son mouvement – tout comme la déambulation du spectateur dans l’espace d’exposition – par l’encombrement d’une structure en bois. Celle-ci accueille un nouveau projet – réalisé en collaboration avec Noé Soulier – montrant le danseur et chorégraphe répétant sans cesse la même figure afin d’atteindre la pirouette parfaite. And again and again and again dont le tournage a duré plus de sept heures donne à voir l’épuisement de l’acteur certes mais révèle également les limites de cette action par l’étude de sa composition. Le geste exécuté inlassablement, devient tour à tour précis, approximatif et finalement dissonant.

Laëtitia Badaut Haussmann. Sans titre, 2012 - Anonyme, image trouvée et retouchée - Collection de l'artiste, tirage encre pigmentaire sur papier Archival mat. Production CPIF, vue d'exposition Not even even, In extenso, 2012 courtesy de l'artiste - crédit photo IE/LBH

Pourtant l’image à observer n’est plus là, elle s’est déplacée du côté du dispositif de tournage. Ce dernier encercle le danseur et laisse apparaître le rail circulaire dans le miroir de la salle de danse. La mise en abyme produite ainsi occasionne une instabilité et une perte de repères visuels, physiques et temporels. Le mouvement invite à un regard et à un déplacement particulier, sa répétition installe un système réflexif questionnant le mode de transcription et de réception des images. L’action découpée a été reconstituée selon un ordre non linéaire : un montage basé sur une temporalité morcelée caractéristique de la démarche de l’artiste qui dévoile une dimension pré et post-exposition par l’utilisation du hors-champ.

Le dispositif d’installation du film aussi appelé Manufactured, recorded, preserved, returned développe encore plus cette idée. En effet, Laëtitia Badaut Haussmann a demandé à chaque personne intervenant lors de la construction du cube de se couvrir les mains de pigments colorés afin de témoigner et d’enregistrer ces manipulations effectuées en amont de l’exposition.

Laëtitia Badaut Haussmann. Underway, figure #2, 2012 - acier, peinture, câble. Production In extenso, vue d'exposition Not even even, In extenso, 2012 courtesy de l'artiste - crédit photo IE/LBH

Disposée dans l’angle opposé de la galerie, Underway figure #2, composée d’un fil de funambule et de son système de fixation réitère la référence à un temps hors-exposition. La sculpture-installation en attente d’activation, laisse libre cours à toute supposition et imagination de traversée. Au milieu de cet ensemble d’oeuvres, Underway figure #2 semble être la plus emblématique des préoccupations récentes de l’artiste – car elle évoque autant cette dimension de l’amont et de l’aval de l’exposition par l’annonce d’un mouvement – que le montage cinématographique lui-même, par le passage d’une image à l’autre à travers un saut au dessus du vide [1].

Le saut d’une image à l’autre mais aussi celui d’un champ à l’autre : à ce titre, nous pourrions même imaginer Not even even comme un scénario complet mettant en scène différents acteurs comme le coureur, le danseur, le funambule – sans oublier le spectateur – dans une nouvelle appréhension de l’exposition via l’analyse de son hors-champ.

Laëtitia Badaut Haussmann, Not even even à la galerie Inextenso, du 29 novembre 2012 au 5 janvier 2013, In extenso, 12 rue de la coifferie, 63000 Clermont-Ferrand

  1. « Passer d’une image à une autre, au cinéma, c’est toujours sauter par dessus un vide. Par delà un intervalle. Rapprocher deux bords qui ne jointent pas, entre lesquels quoi qu’on fasse, il y aura toujours l’écart de l’intervalle du temps, même infime qu’il faut pour que le dehors devienne dedans et le dedans dehors », extrait de La face cachée de la lune, Jean Paul Fargier, publié dans Art Press spécial GODARD, Hors Série n°4 Janv-Fév 1985, pages 22-25.
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