Jack&Bill et Yann Gerstberger à rlbq
The Spy Who Came in from the Cold
par Céline Chazalviel
Généreusement accueillis par une sculpture totémique empruntant autant aux sociétés traditionnelles et aux compositions surréalistes qu’aux dispositifs publicitaires, nous nous sentons très vite observés, voire surveillés, par un œil énorme, exorbité, façon Orange mécanique; un second, halluciné, digne du Chien Andalou; et un dernier, à la fois regardé et regardant, qui nous rappelle Loft Story. Ces images en noir et blanc, low quality et aux airs familiers, trônent au sommet d’une solide structure dont elles sont la raison d’être. La traque ne fait que commencer.
Aux dimensions d’une affiche de cinéma sauvagement collée au mur, un chien Husky guette, les yeux dissimulés derrière des rideaux en bois. Il est un espion franchement exotique sous ces latitudes méridionales.
Comme un préliminaire à la rencontre entre pratique photographique et sculpture, les membres de Jack&Bill et Yann Gerstberger, leur invité pour cette exposition, jouent le jeu d’une image dont la sculpture serait le cadre – au sens propre. Sous forme de petite maquette de bambou et de scotch, une ébauche de cadre piège une image découpée, un peu comme un dreamcatcher s’empare des mauvais rêves. Plutôt que de capture, il s’agit ici d’épuisement d’une image, par saturation. On retrouve le même chinois sur la façade de l’immeuble de la galerie, sur un sweat-shirt et dans cette petite composition. S’il échappe aux regards, c’est que cette redondance le rend invisible.
Dans un autre registre, une photographie appliquée au mur comme une affiche, est avant tout envisagée comme une série de gestes. Cette image, traitée en bichromie à partir d’un mauve très décoratif, la même couleur dégoulinant sur la sculpture aux trois yeux, montre une giclure – peinture, sang ou urine ? – qui recouvre un mur défraichi et graffité.
Dans cette exposition, les sculptures poussent dans des parpaings; leurs fondations les ancrent dans un répertoire méta-urbain constitué dans des zones d’abandon. Ce préalable établi, nous savons que ce soir, les matelas usagés ne dormiront pas sur le trottoir. Élément absolu de confort devenant vite dégoutant une fois taché et échoué dans la rue, il est ici motif – à carreaux, vagues ou bandes surpiqués dans l’épaisseur moelleuse – et forme molle à discipliner et assembler. Le pattern induit par l’objet ready-made, au regard des autres pièces très iconographiques, semblent attendre son tour mais restera nu, juste enduit d’une couleur vanille. Il faut préciser que Yann Gerstberger nous avait habitués à plus d’exubérance, avec une sculpture tropicale, primitive voire votive et extrêmement saturée, déjouant les lois de gravité et les principes d’harmonie des couleurs. Ces nouvelles pièces sont signe d’un rapport à la représentation assez inédit pour l’artiste. Et l’érection de cette pièce contre le mur n’est finalement pas sans engendrer de l’image puisqu’elle délivre – sur une structure de sommier calciné – les pépites d’une culture teenager post Larry Clark : des photographies témoin de quelques ivresses, des collages psyché-fluo et l’automatique texte qui donne son titre à l’exposition, Feel The Disc-Jockey Swallow my Adventure. Rien en particulier, juste une impression d’ensemble qui se revendique d’un rapport à l’image qu’entretiennent les Jack&Bill. Fred Cave, Sylvain Couzinet-Jacques et Thomas Hauser sont photographes avec une vision élargie de la pratique; argentiques, numériques, collectées, sous forme d’éditions, transférées sur vêtements, prenant place au sein de dispositifs scénographiques – avec, toujours, un goût prononcé pour le vernaculaire et ses usages – leurs photographies sont des véhicules. Visant parfois un nivellement des images par homogénéisation du rendu et du mode de présentation, ils tentent également de brouiller les pistes quant à la question de l’auteur. Ce point évoqué, et aussitôt évacué, est le nœud, voire la condition sine qua non, d’une forme régulière d’expérimentations afin d’éprouver la photographie et ses modes de diffusion.
En plus de conduire les quatre artistes sur des terrains inexplorés jusqu’alors, cette collaboration produit la troublante impression d’avoir affaire au travail d’un seul artiste, ce qui relève d’un vrai dialogue entre les formes mais aussi d’un souci partagé de ménager des espaces vacants. Affaire à suivre.
Feel The Disc-Jockey Swallow my Adventure
Jack&Bill et Yann Gerstberger
galerie rlbq, Marseille
21 novembre – 24 décembre 2008
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