Isabelle Cornaro. Figures, ornements, représentations

par aurelie tiffreau

Pour le projet « Figures, ornements, représentations », Isabelle Cornaro, présente au FRAC Aquitaine une réflexion sur l’espace et la polysémie des formes selon les points de vue physiques ou intellectuels.

L’artiste dispose dans la salle cinq quadrilatères peints (Ornement, 2012) d’une couleur correspondant au type de bois dont il est constitué : le vert pour le ziricotte, le noir pour l’ébène ou encore le violet pour l’amarante. Chaque module ligneux est surmonté de mobiles miroitants dont les teintes partent du blanc et évoluent vers le corail, le vert et le bleu en passant par le gris et le brun. Ces sculptures géométriques qui ponctuent l’espace le révèlent au spectateur en lui faisant prendre conscience de son corps comme objet au sein de ce même espace. En ce sens, ces pièces fonctionnent comme les Specific Objects de Donald Judd ou encore Untitled (Four Battered Cub, 1965) de Robert Morris.
Mais l’intérêt d’Isabelle Cornaro se porte également sur l’espace extérieur. La salle du FRAC est ouverte sur le port par de larges baies vitrées et les miroirs mobiles (Hexaèdre, 2012) introduisent – tant par leurs reflets que par leurs couleurs qui correspondent à celles du paysage alentour – des fragments du dehors au sein de l’exposition. Après l’expérience physique de l’espace intérieur, c’est une expérience visuelle qui conduit le spectateur à prendre conscience de l’espace extérieur. Dehors et dedans se métabolisent et projettent le visiteur dans un espace hybride habité par un paysage abstrait.

En y regardant de plus près, les cubes de bois possèdent des poignées de renforcement stylisées qui leur confèrent une allure de caisses. Dès lors, elles aussi entrent en résonance avec l’espace du dehors, notamment avec l’environnement portuaire et industriel du hangar G2. En effet, ces boîtes mystérieuses qui semblent renfermer des marchandises inconnues évoquent le transit et le passage. Les vases aux motifs africains et asiatiques de l’installation Ajouts (2012), objets manufacturés placés en vis-à-vis des œuvres de la collection du FRAC, réactualisent quant à eux l’antagonisme propre à l’histoire coloniale de Bordeaux entre culture supérieure et culture indigène. Ainsi, l’artiste fait dialoguer ses œuvres tant avec l’espace intérieur et extérieur qu’avec l’histoire et l’actualité du lieu. Mais Isabelle Cornaro joue également sur le statut des objets : d’utilitaires à sculptures, il n’est qu’un regard.

Situées dans l’ancien entrepôt qu’est le FRAC, désormais lieu de stockage et d’exposition d’œuvres d’art, les sculptures cubiques prennent l’allure de boîtes de rangement, comme échappées des réserves visibles à chaque extrémité de la salle. À moins qu’il ne s’agisse de socles abandonnés ? L’assignation des objets à une catégorie ou à une utilisation particulière est délicate. Les cimaises, servant habituellement à séparer l’espace de stockage du lieu d’exposition, se font socles en présentant une série de vases. Ces derniers sont d’un usage à la fois utilitaire et décoratif mais possèdent également le statut d’œuvres d’art puisqu’ils sont présentés comme des ready made. Les dessins, peintures et impressions sérigraphiques présentés aux murs proposent de nouveaux points de vue sur l’espace d’exposition et de nouvelles compositions à partir des formes et motifs présentés. Cet ensemble, qui recompose le réel à la manière des miroirs mobiles en mélangeant objets et perspectives, interroge la construction du regard en tentant la traduction d’un médium dans un autre. Isabelle Cornaro se plaît à déconstruire puis à remonter les modes de représentation pour en mettre à nu les structures sous-jacentes et pour jouer avec le sens des images.

« Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on projette dans ce qu’on regarde, symboliquement, émotionnellement, effectivement. D’où le fétichisme des objets », dit-elle. Il est vrai que dans une société où la consommation a été élevée au rang de culte, l’objet se trouve doté d’un pouvoir similaire à celui d’une idole, comme le souligne Roland Barthes dans Mythologies (1956) en comparant les automobiles aux cathédrales gothiques. Cependant, il semble que l’artiste joue ici avec le versant positif du fétichisme car les objets sont également les témoins de notre histoire, personnelle ou collective, et constituent en ce sens un patrimoine. Par un arrangement simple de pièces, Isabelle Cornaro réactualise un passé, attire notre attention sur le bâtiment, sa localisation, sa lumière… Elle ouvre la voie à une pensée et à une réflexion poétiques illustrant ainsi la fonction première de l’art qui consiste à transcender la matière pour accéder au domaine des idées.


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