Insiders au capc

par François Aubart

 

Insiders

L’œuvre de Ruth Ewan pourrait bien à elle seule cristalliser toutes les questions qui traversent Insiders. Jukebox of People Trying to Change the World est, comme son nom l’indique, un jukebox contenant plus de huit cent chansons aux paroles teintées d’accents militants ou revendicatifs. Des chansons provenant de registres variés allant de la pop à la musique traditionnelle classées selon les thématiques sociales ou politiques qu’elles expriment.

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Insiders, pratiques, usages, savoir-faire dans le cadre d'Evento, capc-bordeaux, copyright mairie de Bordeaux photo F Deval

En effet, tout au long de cette exposition, l’acte de collection est décliné au fil de propositions qui appliquent cette obsession de l’ordonnance à des pratiques dites mineures. On y trouve, entre autres, la collection personnelle d’Angel Montes Jr. composée de produits dérivés à l’effigie du personnage principal de Scarface. Elle est présentée par Mario Ybarra Jr., artiste et ami dudit collecteur que l’identification à ce héros a conduit à la mort. Celle de Vladimir Arkhipov réunit des objets industriels ayant subi des améliorations bricolées par leurs utilisateurs pour mieux se plier à leurs besoins. Celle de Donna Kossy, présentée par l’artiste Joseph Marzolla, se compose de fanzines de théories conspirationnistes, ces thèses qui expliquent le monde et l’actualité en la chargeant de mystères et de complots planétaires. On l’aura compris au travers de ces quelques exemples, ce qui se joue là n’est autre que la volonté d’offrir à des pratiques populaires et triviales un accès au musée et à la culture savante. Et pour permettre ce changement de statut la collection est un levier efficace. En effet, la collection et son corolaire, la conservation, sont des activités légitimantes. Les objets auxquels elles s’appliquent accèdent de fait au rang de sujet d’étude. Ainsi, cette thématisation du quotidien n’a d’autre ambition que de pasticher le musée et sa fonction sanctifiante. Seulement il ne s’agit pas tant d’en revendiquer la légitimité que d’en emprunter ce qui fait sa particularité, celle de produire une analyse scientifique. Car en effet si ces mini-musées ont tout des grands c’est parce que, comme ces derniers, ils portent sur leur collection un regard scientifique. Ils dépassent ainsi la seule question de la différence entre culture de masse et culture haute pour se porter sur une autre interrogation. Celle qui consiste à se demander à quel moment une culture de masse devient le terreau de pratiques singulières et donc émancipées de leurs contextes. Car dès lors que de tels phénomènes apparaissent, les lignes bougent. La culture de masse, produite pour être accessible et assimilable par le plus grand nombre et ne nécessitant aucun apprentissage, devient une sorte de culture populaire, ses codes étant pris en main et partagés par un seul petit groupe de personnes. Cependant les productions de ces Insiders s’écartent des pratiques populaires dans la mesure où elles ne découlent pas d’un héritage traditionnel et se pratiquent dans une immédiateté qui ne connait pas d’histoire. Cette hybridation culturelle s’observe dans un certain nombre de documentaires. Ainsi, Christodoulos Panayiotou présente avec Wonder Land une série de diapositives montrant les habitants de la ville de Limassol à Chypre qui tous les ans se déguisent en personnages de Disney. S’y succèdent des images attestant du fait qu’un modèle apparemment mondialement identique peut être pris en main et altéré selon des considérations toutes personnelles. C’est d’autant plus manifeste dans le reportage réalisé pour la télévision par Laurent Le Gall sur le festival de Burning Man qui a lieu dans le désert du Névada et dont la dernière édition comptait 50.000 personnes. L’unique but de ce rassemblement est l’embrassement d’un géant de bois. Mais c’est surtout ce qui s’y crée qui fascine puisque cette communauté, qui se réunit autour d’idéaux de  partage et d’autosuffisance que de façon floue et non doctrinale, compose une véritable ville bariolée qui n’existe que pendant moins d’une semaine. Elle révèle la créativité de ses participants qui multiplient les détournements d’objets quotidiens pour reconstruire une ville fantasmée à partir des éléments qui composent celle qu’ils fréquentent quotidiennement.

INSIDERS, Ruth Ewan, A Jukebox of People Trying to Change the Wo

INSIDERS, Ruth Ewan, A Jukebox of People Trying to Change the World.

Si ces pratiques apparaissent particulièrement percutantes au regard de la façon dont une culture peut être créée, elles le sont tout aussi par leurs modalités d’apparitions spontanées et autonomes. Et de ce point de vue il n’est pas étonnant de constater qu’ici l’artiste se fait passeur. Producteur d’un témoignage sur ces pratiques, il se charge de rendre compte d’une créativité qui se développe dans les interstices de la production de masse.

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