Guillaume Pinard, Vandale

par Stefania Meazza

BBB centre d’art, Toulouse, du 24 mai au 13 juillet 2013

Après l’exposition monographique de cet hiver à la Maison des Arts Georges Pompidou, Guillaume Pinard, l’un des dessinateurs plus intéressants de la scène française, est encore à l’honneur dans sa région natale. Cette fois, c’est au tour du centre d’art BBB, à Toulouse, d’inviter l’artiste toulousain à présenter un projet aussi courageux que captivant.

Un subtil sourire moqueur émane de l’exposition Vandale, à travers des œuvres exposées très diversifiées, dessins muraux ou sur médium, peintures, vidéos et petites constructions.
Qu’elle soit adressée au spectateur, à l’institution ou à la tradition artistique, l’ironie de Guillaume Pinard ne laisse pas indifférent. Elle prête à sourire, mais, comme cela se produit d’ailleurs dans sa production plastique et textuelle, elle entraine une réflexion profonde sur le fond de la pratique artistique.

Vandale, Guillaume Pinard - crédit photo: Guillaume Pinard

Vandale, Guillaume Pinard – crédit photo: Guillaume Pinard

L’artiste fait preuve d’une audace technique et artistique épatante, réunissant dans l’espace d’exposition quatre dessins muraux et cinq dessins sur médium réalisés au fusain. Cet outil classique de travail est ici employé avec une grande maîtrise à travers un rendu virtuose proche de la peinture à l’huile, s’attardant à restituer les nuances et la douceur de la lumière. Les sujets, tirés, selon la démarche habituelle de Pinard, des grands classiques de la peinture occidentale (et notamment française car David, Ingres et Renoir se retrouvent tous réunis dans la même salle) et de références culturelles plus populaires, dans un mélange au goût délicieusement postmoderniste, résultent ainsi détournés et presque méconnaissables.

Le changement d’échelle, la concentration sur les détails que Daniel Arasse définit comme « jouissifs » et qui, bien sûr, ne sont nullement anodins dans les compositions, le caractère irrémédiablement éphémère des dessins (qui ne sont pas fixés au mur) dénotent une fois de plus une forme subtile de sarcasme à l’égard de l’art dit « noble » et des outils du dessin. La pratique de la reproduction des classiques à des fins éducatives, répandue autrefois dans les écoles d’art, ainsi que la pratique amateur de la copie des maîtres, à toutes les échelles du marché, sont ici également remises en cause.
Guillaume Pinard enfile la veste du vandale, intervient sur la substance des chefs-d’œuvre qu’il copie, en agissant sur l’effet de la matière et, tout compte fait, sur son essence intime. De plus, il invite le spectateur dans ce mouvement de transformation, en assumant totalement son intervention sur ses dessins muraux et mettant par conséquent en cause la fonction de conservation propre aux institutions d’art.

Vandale, Guillaume Pinard - crédit photo: Guillaume Pinard

Vandale, Guillaume Pinard – crédit photo: Guillaume Pinard

L’aura des David, Ingres, Dürer reproduits en ressort tout à fait métamorphosée, de par le processus de reproduction, et les signes laissés délibérément ou accidentellement par les spectateurs.
Cependant, le talent de l’artiste ne s’épuise pas dans le geste magistral de copie des anciens mais trouve son équilibre dans la deuxième partie de l’exposition, peuplée de petites peintures à l’exécution simple et rudimentaire et de constructions à la fois décalées et poétiques, entre fragilité et extrême banalité. Le Radeau de la Méduse abandonne son allure dramatique et emphatique pour se transformer en petite maquette réalisée avec les moyens du bord, la maison de Rubens cache son côté fragile, fait de petits bâtonnets de bois fins et frêles… La Vénus de Milo, canon de la beauté féminine classique, objet sacré et hyperbolique, tourne sur elle-même comme un vulgaire jouet de pacotille, suscitant le rire plutôt que l’habituelle vénération.

En avançant dans l’exposition, les niveaux de lecture se multiplient, fait très fréquent dans la production plastique de Guillaume Pinard, que nous retrouvons également dans ses écrits. Le rire sarcastique s’estompe, laissant place à une analyse pointue sur le système de l’art, sur la place du public et les missions des institutions de l’art, prêt à surgir comme un diable en boîte à la prochaine occasion.


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