FLUO CONCEPTUEL. Exposition au Mamo de Marseille

par Pedro Morais

« Oracular Vernacular » met en scène un dialogue, ou peut-être une confrontation, entre des stratégies artistiques qui s’appuient sur l’histoire, l’archive et la référence littéraire, et des démarches post-internet cherchant à dépasser l’opposition entre le virtuel et la matérialité des formes.

Situé dans l’ancien gymnase sur le toit de la Cité Radieuse de Le Corbusier, le contexte même du centre d’art marseillais propulse l’ambition de l’exposition. Emblème des utopies du modernisme, il serait précipité de chercher à constater son échec. Nous pouvons plutôt vérifier l’adaptation du programme fonctionnaliste de l’architecte à une forme de sensualité en lignes courbes, presque fantaisiste, évoquant un paquebot, éloignée de la seule abstraction anti-décorative auquel on l’associe.

( détail de gauche à droite ) : Dominique Hurth, Close your eyes of flesh to contemplate first the image with your mind’s eye, 2011, Rideau en coton, cire et impressions / Kolkoz, Film de vacances, Hong Kong, 2006, Bois medium, peinture, DVD, lecteur de DVD, écran, vidéo / Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, year 69 (Angola : people in revolution by Agostinho Neto), 2011, Sérigraphie sur verre et papier / Alex Israël, Untitled (flat), 2013, Acrylique sur stuc, bois, structure en aluminium / Julie Bena, Et voici le jardin d’hiver, 2013, Impression sur toile microperforée / Julien Prévieux Musée du Bug, 2012, Impressions sur papier dos bleu / Benoît Maire,
Marteau, 2013, Plexiglas, orme, règle, caillou, montre / Gareth Long, Literary Asses : Agôn, 2012, Aluminium, peinture, nylon / Shana Moulton, Galactic Pot Healer Escalator, 2013, Bois, vidéo, céramique / Olivia Plender, Words and Laws (Whose Shoulder to Which Wheel?), 2012, Posters / Ikonotekst Groupe, Le kiosque post-moderne, 2013, Carton plume, système lumineux, matériaux divers / Michel Boisse, Tom-Tom Caraïbes, 2013, Jeu vidéo, courtesy Julie Liger.

( détail de gauche à droite ) : Dominique Hurth, Close your eyes of flesh to contemplate first the image with your mind’s eye, 2011, Rideau en coton, cire et impressions / Kolkoz, Film de vacances, Hong Kong, 2006, Bois medium, peinture, DVD, lecteur de DVD, écran, vidéo / Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, year 69 (Angola : people in revolution by Agostinho Neto), 2011, Sérigraphie sur verre et papier / Alex Israël, Untitled (flat), 2013, Acrylique sur stuc, bois, structure en aluminium / Julie Bena, Et voici le jardin d’hiver, 2013, Impression sur toile microperforée / Julien Prévieux Musée du Bug, 2012, Impressions sur papier dos bleu / Benoît Maire,
Marteau, 2013, Plexiglas, orme, règle, caillou, montre / Gareth Long, Literary Asses : Agôn, 2012, Aluminium, peinture, nylon / Shana Moulton, Galactic Pot Healer Escalator, 2013, Bois, vidéo, céramique / Olivia Plender, Words and Laws (Whose Shoulder to Which Wheel?), 2012, Posters / Ikonotekst Groupe, Le kiosque post-moderne, 2013, Carton plume, système lumineux, matériaux divers / Michel Boisse, Tom-Tom Caraïbes, 2013, Jeu vidéo, courtesy Julie Liger.

Les deux jeunes curatrices Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani de l’exposition « Oracular Vernacular » prennent acte de l’esprit des avant-gardes pour affirmer que malgré l’incroyable diversité de l’art actuel, il est toujours possible de dessiner des lignes de force, des zones d’intensité, des débats et des courants. Le fait qu’il n’y ait plus ou presque de manifestes n’interdit pas d’identifier des nouveaux paradigmes dans l’art en dialogue permanent avec les mutations du monde.

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(gauche) Benoît Maire,
 Marteau, 2013
, Plexiglas, orme, règle, caillou, montre / Shana Moulton, Galactic Pot Healer Escalator, 2013, Bois, vidéo, céramique / Olivia Plender, Words and Laws (Whose Shoulder to Which Wheel?), 2012, Posters, courtesy Julie Liger. (droite) Shana Moulton, Galactic Pot Healer Escalator, 2013, Bois, vidéo, céramique (détail), courtesy Julie Liger.

L’exposition réunit ainsi deux esthétiques, identifiables ces dernières années, que l’on pourrait imaginer a priori opposées : le caractère minimal et littéraire de recherches post-conceptuelles et les vidéos aux tons criards de la vague post-internet (couleurs synthétiques, incrustations grossières et modélisations 3D pixellisées). Dans le premier paradigme, nous trouverons Benoît Maire et son installation sur les paradoxes du temps et de l’action avec un marteau artisanal auquel est attachée une montre. Dans un clin d’œil aux questions posées par l’exposition, il y place une plaque de plexiglas jaune fluo, à rebours de son habituelle austérité. Falke Pisano, dont le travail est aussi imprégné de philosophie, s’appuie sur Bruno Latour [1] pour écrire au mur une phrase dont la typographie en volutes décoratives serait en contradiction ou servirait de camouflage à son propos politique.

Le sens critique et auto-réflexif est l’une des forces de ces démarches néo-conceptuelles, les engageant parfois du côté de recherches sur le post-colonialisme et le genre. Mathieu Kleyebe Abonnenc présente une œuvre où se mélangent les questions de l’archive, du rite et des luttes historiques pour l’autonomie des peuples colonisés. L’histoire culturelle et l’intérêt pour le rôle des images et des documents dans la fabrication du passé sont l’un des traits de cette génération iconophile. L’une des œuvres les plus intéressantes est celle de Kapwani Kiwanga qui réunit des livres de science-fiction autour d’une conquête de l’espace féministe et post-coloniale. La fiction et l’invention d’identités imaginaires participent de la modification de nos représentations de l’histoire, tel qu’elle le souligne en convoquant Sun Ra. Dominique Hurth traduit ces questions dans des matériaux (la sculpture ovni du seul enregistrement sonore de Sarah Bernhardt) et des formes (un rideau théâtral qui reprend les tonalités de la première photo en couleur, avec Sarah Bernhardt).

Michel Boisse, Tom-Tom Caraïbes, 2013, Jeu vidéo / Olivia Plender, Words and Laws (Whose Shoulder to Which Wheel?), 2012, Posters, courtesy Julie Liger.

Michel Boisse, Tom-Tom Caraïbes, 2013, Jeu vidéo / Olivia Plender, Words and Laws (Whose Shoulder to Which Wheel?), 2012, Posters, courtesy Julie Liger.

Bertrand Dezoteux, L’Histoire de France en 3D, 2012, Vidéo / Dominique Hurth, Close your eyes of flesh to contemplate first the image with your mind’s eye, 2011, Rideau en coton, cire et impressions / Kolkoz, Film de vacances, Hong Kong, 2006, Bois medium, peinture, DVD, lecteur de DVD, écran, vidéo / Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, year 69 (Angola : people in revolution by Agostinho Neto), 2011, Sérigraphie sur verre et papier / Alex Israël, Untitled (flat), 2013, Acrylique sur stuc, bois, structure en aluminium, courtesy Julie Liger.

Bertrand Dezoteux, L’Histoire de France en 3D, 2012, Vidéo / Dominique Hurth, Close your eyes of flesh to contemplate first the image with your mind’s eye, 2011, Rideau en coton, cire et impressions / Kolkoz, Film de vacances, Hong Kong, 2006, Bois medium, peinture, DVD, lecteur de DVD, écran, vidéo / Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, year 69 (Angola : people in revolution by Agostinho Neto), 2011, Sérigraphie sur verre et papier / Alex Israël, Untitled (flat), 2013, Acrylique sur stuc, bois, structure en aluminium, courtesy Julie Liger.

Établissant un parallèle entre cet univers et celui des artistes plus marqués par le langage internet, Julien Prévieux expose un schéma imprimé d’une compilation sémantique de bugs informatiques. Tandis qu’à l’intérieur d’un dispositif low tech fait de bric et de broc, Neil Beloufa projette sa vidéo autour d’un paradis figé dans le cliché publicitaire d’un tourisme permanent. L’horizon de cette plage a la lueur d’un blue screen. C’est le pouvoir des images génériques véhiculés à l’ère de leur circulation globale en jpg : Julie Béna donne à voir un jardin d’hiver avec statues grecques qui évoque la neutralité de l’architecture des aéroports ou d’un bureau de multinationale. Shana Moulton mélange poterie, folk global et rituels de prestidigitation sur un fond de coucher de soleil digital. Cette transposition d’une culture visuelle issue d’internet dans des formes très matérielles cherche à dépasser la vieille opposition entre le réel et le virtuel. Bertrand Dezoteux, Michel Boisse ou les vétérans Kolkoz sont par contre plus prisonniers d’une culture spécifique de la 3D et du jeu vidéo.

Marine Hugonnier, L’avenir, 2013, 
Print / Benoît Maire, Marteau, 2013
, Plexiglas, orme, règle, caillou, montre, courtesy Julie Liger.

Marine Hugonnier, L’avenir, 2013, 
Print / Benoît Maire, Marteau, 2013
, Plexiglas, orme, règle, caillou, montre, courtesy Julie Liger.

Selon les curatrices, l’ensemble des œuvres possède en commun les notions de réseau et de codification, la synthèse graphique d’idées, la narration et le rapport décomplexé à l’amateurisme. A priori il est question d’une génération qui regarde à nouveau vers le futur. Pourtant, l’une des œuvres les plus réussies de l’exposition propose un inventaire du passé. Le collectif Ikonotekst Groupe représente les différentes attitudes associées au post-modernisme grâce à des figurines placées dans un kiosque, transformant leur œuvre en attaque violente vis-à-vis de l’alliance entre l’art postmoderne et le libéralisme. Une mise au point qui sert aussi à tourner la page. En faisant appel au sens critique de l’histoire ou en réfléchissant la culture du réseau, ces artistes sont en train de l’assumer.

  1. Bruno Latour & Shirley Strum, Human social origins : « Oh, please, tell us another story », publié dans Journal of social and Biological structures (1986)
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