Etienne Bossut au Crac de Sète

par Estelle Nabeyrat

Le travail d’Etienne Bossut s’inscrit en apparence dans une relative tradition du Pop Art. Pourtant, la gamme des couleurs inspirée de la palette de Warhol, l’utilisation d’objets issus de l’industrie ne sont en réalité qu’un répertoire de formes et de référents dans lequel l’artiste s’amuse à venir puiser incessamment. Car Etienne Bosssut se place dans la continuité d’une pratique bien plus ancienne qui est celle du moulage et plus précisément de la reproduction par empreinte héritée de l’Antiquité et des techniques en usage au Proche et Moyen-Orient à cette même époque.

vue de l'exposition

vue de l'exposition au Crac de Sète. Photo Marc Domage

L’entrée en matière par ce processus, invisible de prime abord, est suggérée dès le début de l’exposition personnelle qui lui est consacrée au Crac de Sète. Une pièce intitulée « Des pots », un ensemble de moulages de couleur bleu-vert, rappelle la facture d’une amphore, pourtant, il s’agit bien ici d’une réplique de grands récipients en plastique à un détail près : les textures intérieures et extérieures du pot d’origine ont été inversées sur cette nouvelle version. On comprend des lors qu’il ne s’agit ni d’un original modifié ni d’une copie quasi-conforme. L’utilisation des couleurs, son habillage, opèrent un léger trouble dans la lecture de l’objet en tant que tel. Si le moulage embrasse la surface de l’objet qu’il recouvre, il ne peux s’inventer une fonction et un usage similaire. L’objet initial choisit par l’artiste possède une utilité, qu’il soit issue de la grande consommation ou de l’agence d’un designer; celui qui est fabriqué par E.Bossut, en revanche, convoque un décalage quand à la nature même de la copie. Le moulage devient une image de l’objet, il en possède les apparences mais pas la totalité des caractéristiques. Etienne Bossut façonne ; les reproductions qu’il entreprend fixent son travail dans une pratique plus proche de l’artisanat que de la production industrielle. Pourtant, la forme conserve un lien référentiel avec son sujet d’étude. Placée juste en face des pots, l’installation « Chaque matin… » est une entrée en matière directe avec l’esthétique de citation entreprise par Etienne Bossut : des bottes en plastiques colorées sont encastrées les unes dans les autres formant deux immenses colonnes qui dépassent une ligne elle-même créée par une série de petites lames de faux placées à un ou deux mètres du plafond telle une frise décorative. La paire de bottes de sept lieux reprend, en apparence du moins, la logique d’organisation chromatique des célèbres bâtons de Cadere. Les œuvres d’Etienne Bossut s’intègre dans une histoire des arts plastiques et des arts appliqués en se peuplant de référents tant formels que conceptuels. Ainsi, une composition de 101 skis moulés et déclinés en 3 coloris peuvent être vus comme un hommage aux drippings de Pollock, les matelas gonflables sous le titre de « Nuages » sont un clin d’œil aux « Silver clouds » de Wharol enfin, comment ne pas penser à Marcel Duchamp lorsqu’on comprend, par exemple que la pelle à neige, simplement posée au sol, à été réalisée manuellement prenant a contrario la définition du ready-made.

Par la reprise, la copie et la répétition des objets, par un va-et-vient entre des repères issus de la culture populaire d’une part et artistique d’autre part, Etienne Bossut détourne le culte auratique voué à l’original. Par un subtil brouillage des systèmes, l’art se rappelle ici comme structure ouverte : reproduction, imitation, reminiscence, la procédure de vivisection des référents déstabilise la notion même de propriété. A travers un étonnant dialogue avec les travaux photographiques et vidéographiques des jeunes artistes Marie Alberto Jeanjacques et Valérie Pavia, l’exposition d’Etienne Bossut dans son simple apparat se « souvient du réel comme ce qui a toujours été reproduit. »(1)

(1) Marina Grzinic in « Une fiction reconstruite, Europe de l’Est, post-socialisme et retro-avant-garde », P 89, L’Harmattan, Paris 2005.

Exposition « Aspirant l’air de la mer », Etienne Bossut jusqu’au 17 Janvier 2010 au Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon à Sète, avec « Incanta », Project-room consacré à Marie Alberto Jeanjacques et « La bande passante », une programmation vidéo avec le travail de Valérie Pavia.


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