Entretien avec Simon Fravega
9ème édition du festival Hors Pistes, Centre Pompidou, 10-26 janvier 2014.
Chargé d’occuper l’espace du Forum -1 du Centre Pompidou pendant la durée du festival Hors Pistes, Simon Fravega, artiste-performeur, a créé en compagnie de Meggie Schneider un vaste environnement nommé La Fabrique Biopic. Il y a organisé des événements quotidiens et, dans la continuité de ses précédentes performances (Lovable Loser, 2010 à Bétonsalon et Hors-Pistes 2011, Sosie or not sosie, La Galerie, Noisy-le-sec, MC2 Grenoble, 2012), tous les samedis soirs, il a présenté avec Mathilde Chénin Si je veux faire le Biopic du premier homme qui marche, joué par Gene Kelly, ne me suffit-il pas de porter des claquettes ? Avec cette nouvelle pièce, il revient notamment sur le thème de l’imposteur qui l’intéresse moins comme posture qu’en tant que point de départ de la création.
Vanessa Morisset : Comment vous êtes-vous approprié le thème du biopic qui a été choisi pour le festival Hors Pistes de cette année ?
Simon Fravega : On peut donner du biopic une définition de base, très succincte : c’est un film qui retrace la vie de quelqu’un mais joué par quelqu’un d’autre. À partir de cette définition, j’ai essayé de trouver des formes qui pouvaient s’y rattacher. Comme le repas est le moment qu’on rejoue le plus souvent dans sa vie, j’ai eu l’idée, et en m’amusant avec les mots bien sûr, du biopic-nique. C’est alors qu’on m’a proposé de collaborer avec Meggie Schneider qui avait déjà organisé des repas dans des espaces publics. Dans l’idéal, tout le monde aurait pu participer mais techniquement cela n’a pas été possible. Nous avons fonctionné par invitation, en mélangeant le plus possible les personnes, avec un sujet de conversation différent chaque jour. Les invités nous ont raconté des bouts de leur histoire, de leur vie.
Vous avez réussi à transformer en un lieu accueillant un endroit qui d’habitude ne l’est pas : je me souviens que pour une exposition Daniel Buren y avait tracé des places de parking.
S.F : L’idée de départ était de créer de la vie. Il faut dire que l’une de mes activités est de fabriquer des décors pour le théâtre, alors j’ai une petite expérience dans ce domaine. Avec La Fabrique Biopic, c’est devenu un lieu d’exposition, en même temps qu’un lieu de travail et de vie, j’avais invité des cuisiniers, une couturière, j’ai fait réaliser des bureaux dans lesquels des personnes se sont installées tout de suite avec leurs ordinateurs, sans avoir besoin qu’on leur explique le projet. Elles étaient avec nous, parfois même sans le savoir. C’est en repensant à Playtime de Jacques Tati, que j’ai eu cette idée car la perspective depuis le Forum du Centre Pompidou ressemble à celle du film. Et puis c’était aussi un lieu de tournage car tout ce qui s’est passé dans la fabrique a été filmé et sera intégré dans un montage programmé pour le Hors pistes de l’année prochaine. Tout l’espace était pensé en fonction de ce tournage, pour créer de l’image. Par exemple, la table, c’est une table de cinéma, en trapèze, pour que tout le monde soit face à la caméra. De même pour le panneau à trou, c’est un moyen efficace pour intégrer le corps de quelqu’un dans une image. Tous les dispositifs ont été pensés dans ce sens-là.
Vous aviez déjà été invité lors d’un précédent Hors Pistes, mais avec un projet assez différent.
S.F : C’était il y a deux ans, j’avais réalisé une performance à Bétonsalon sur le thème du sport et suite à cela j’avais été invité à Hors Pistes. Pour cette pièce, j’avais travaillé à l’INSEP où sont formés les sportifs pour les Jeux Olympiques, dans une cellule de recherches où l’on étudie leurs résultats à l’aide de toutes sortes de graphiques. En particulier, il y a une courbe qui montre qu’un sportif réalise ses meilleures performances entre 26 et 28 ans, qu’il s’entraîne ou pas. Les scientifiques essayent de vaincre ce déterminisme. Cet échec programmé m’intéressait beaucoup.
Cette année, le thème du biopic a été pour vous l’occasion de revenir à une figure présente dans votre travail depuis le début : l’imposteur. C’est par là que commence la performance que vous avez écrite et réalisée avec Mathilde Chénin…
S.F : C’est même par une imposture que je suis rentré à l’école d’art de Grenoble, en présentant des photos que j’avais empruntées à un copain et en expliquant le contenu d’une cassette audio vierge ! Mais j’ai vraiment commencé à travailler sur l’imposture avec mes premières performances. C’était à Genève, avec Maria La Ribot et Yan Duyvendak. Je ne me sentais pas vraiment à ma place parce qu’ils venaient de la danse contemporaine et moi pas, je venais plutôt du théâtre. Je me suis retrouvé qu’avec des filles. Après, j’ai lu des textes sur l’imposture, notamment le livre de Belinda Cannone, Le Sentiment d’imposture, où elle évoque l’imposture dans tous les corps de métier. Il semble qu’à un moment donné, on se pose tous cette question : « Est-ce que je suis légitime à la place que j’occupe ? ». D’ailleurs, au début de la performance au Centre Pompidou, je demande: « est-ce qu’il y a un artiste dans la salle ? ». On sait tous qu’il y en a plein, mais personne ne répond. Cela fait penser que personne ne se sent légitime en tant qu’artiste.
Justement, est-ce que la question ne se pose surtout dans ce cas ? Au cours de la performance, Mathilde s’interroge sur la part du temps qu’elle consacre à être artiste. Cela ne viendrait-il pas du fait qu’on ne sait pas exactement « quand » on est artiste et que veut dire « travailler » quand on est artiste ?
S.F : Oui, c’est une histoire de création, on est obligé d’accepter le vide pour créer quelque chose. Mais quand on l’accepte et quand on l’assume, on se sent beaucoup mieux, c’est l’état d’euphorie permanente dont parlait Duchamp ! Dans l’art, ce qui est bien, c’est qu’on peut partir de toutes ces choses pour créer des formes. Par exemple, avec Mathilde, nous avons intégré un passage en langage des signes qui reprend le discours du traducteur-imposteur démasqué lors de l’enterrement de Mandela. C’est vraiment fascinant parce qu’il faisait n’importe quoi, et depuis longtemps, il était le traducteur officiel en langage des signes de l’Afrique du sud. Mais quand on regarde bien, ce qu’il fait, c’est de la poésie sonore. Il ne prononce jamais le mot Mandela, il ne doit pas savoir le dire, alors il invente pour dire complètement autre chose, ce qui est assez beau. Plutôt que de dire ce que les autres ont dit qu’il n’a pas dit, j’avais envie de le légitimer, de lui redonner la parole. Je propose une autre façon de lire son apparition à la télé, ce que j’avais fait dans ma performance sur les échecs dans le sport.
Il y a une autre figure récurrente qui est aussi présente dans cette performance, c’est Elvis. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement chez lui ?
S.F : Il y plusieurs choses qui m’intéressent autour d’Elvis et notamment, c’est la personne qui a le plus de sosies. Lui-même avait un rapport schizophrénique à son image. Dans la performance, je cite cette phrase de lui : « Il est très difficile d’être à la hauteur de son image ». C’est comme Charlot qui arrive troisième à un concours de sosies. Ce sont des gens qui se sont créé un personnage qu’eux-mêmes n’arrivent plus à atteindre. Dans une autre performance présentée à Noisy-le-Sec et à la MC2 de Grenoble, j’avais travaillé sur le thème inverse, les admirateurs qui deviennent des sosies, tous ces gens qui jouent la vie de quelqu’un d’autre parce qu’ils sont trop angoissés de jouer la leur. J’avais fait des recherches sur internet et j’étais tombé sur un monsieur qui se présentait en disant, dans un raccourci très intéressant: “Je fais Johnny Hallyday ». Et puis je me suis aussi intéressé à ces questions après avoir joué dans le film de Pauline Curnier Jardin, Grotta Pronfonda. Elle m’avait choisi pour interpréter Bernadette Soubirou parce qu’elle trouvait que je lui ressemblais. Du coup, j’ai cherché des photos et c’est vrai qu’il a quelque chose…
Mathilde et toi vous parlez assez longuement de la théorie des neurones miroirs qui rejoint ces sujets parce qu’elle explique le besoin de mimétisme.
S.F : Les neurones miroirs, c’est faire en regardant. La question est de savoir ce que je sais faire à partir de ce que j’ai vu faire. Pour le vérifier, j’ai regardé des vidéos de claquettes et, pour la première fois, j’ai essayé d’en faire. C’est ainsi qu’est venue l’idée de l’homme qui se redresse avec ses claquettes, comme l’enfant qui commence à marcher. Comme il fallait que ce ne soit pas moi mais quelqu’un d’autre, pour rester dans le thème du biopic, je me suis dit que je pouvais jouer un acteur que j’aime bien, Gene Kelly. Voilà donc comment est arrivé le titre de la performance. En général, j’aime essayer des choses nouvelles car j’aime le vertige de la première fois.
A ce propos, dans votre CV, vous indiquez au même titre que votre DNSEP, que vous avez obtenu le permis bateau. Est-ce parce que cela fait partie d’un projet artistique?
S.F : Ce que j’essaie de mettre en place ce sont des méthodes de travail. A l’école, j’en ai appris une et avec la navigation je suis tombé sur une autre, mais qui n’est pas sans rapport. Il y a par exemple le travail de Bas Jan Ader qui est parti à 33 ans sur un bateau et n’est jamais revenu. J’ai envie de poursuivre son aventure en créant ma propre résidence artistique sur un bateau. Mais comme je crains un peu la solitude, j’inviterai d’autres artistes pour créer des formes avec eux, d’un port à l’autre. En pleine mer, il faut atteindre un point géographique en étant constamment dévié de sa trajectoire. J’aimerais mettre ça en parallèle avec le travail artistique.
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