En suspens, Aernout Milk au Jeu de Paume

par Sarah Ihler-Meyer

En suspens

Par Sarah Ilher-Meyer


L’histoire comme succession non nécessaire d’événements imprévisibles semble être le credo d’Aernout Mik. A travers de longs plans séquences fluides et silencieux, les installations vidéo de cet artiste déjouent toute explication causale des situations de crise qu’elles mettent en scène.

Un procès de Silvio Berlusconi, un crash boursier, une émeute lycéenne… autant de sujets qui se prêtent aux analyses des politologues, des économistes et des sociologues. Pourtant dans les œuvres d’Aernout Mik chacun de ces événements voit ses raisons et ses facteurs mis en suspens. C’est que, contrairement aux enchaînements toujours nécessaires et universels des phénomènes naturels – les mêmes causes entrainant les mêmes effets –, les événements sociaux, s’ils ont des conditions qui les rendent possibles, n’y sont jamais pour autant réductibles – des circonstances identiques recèlent des possibles aux degrés de probabilité variables que des volontés humaines réaliseront ou pas.

Aernout Mik, Park [Parc

Ainsi de Middlemen (2001). Un travelling lent et continuel nous fait cheminer dans une salle des marchés parmi des brokers et des courtiers, les uns affairés, les autres abattus, assis sur des marches jonchées de papiers, le regard perdu et le corps parcouru de soubresauts. Un crash boursier vient sans doute de se produire, mais nulle information sur son contexte ni aucune logique narrative ne vient en éclairer les raisons. Peut-être précisément parce que, tout aussi explicable que soit une catastrophe économique, son avènement n’a rien d’inéluctable, ses acteurs ayant eu la possibilité de prendre une trajectoire différente.

Le caractère contingent des situations de crise est également au cœur de Schoolyard (2009). La caméra circule dans une cour de récréation où des groupes de lycéens se forment et se défont, enchaînent sans cohérence apparente un sit-in, des actes de provocation et d’agression à l’égard des professeurs et des agents de sécurité. Parfois les rôles s’inversent, les manifestants deviennent spectateurs tandis que les enseignants et les vigiles se mêlent aux « insurgés » ou prennent leur place. Une fois encore, l’irrationalité délibérée de cette mise en scène démontre que, quelles que soient les conditions qui permettent de comprendre certains mouvements collectifs, l’apparition de ces derniers n’est jamais obligatoire, tout relatifs qu’ils sont à la liberté et donc à l’imprédictibilité des individus et des groupes humains.

Cette absence de causalité mécanique se retrouve dans Park (2002) et Shifting Sitting (2011). La première de ces deux installations vidéo montre un coin de jardin public dans lequel des indivis sautent en l’air ou restent assis et échangent leurs rôles de manière aléatoire. La seconde, une sorte de reconstitution d’un des nombreux procès de Silvio Berlusconi, présente une salle d’audience dans laquelle les membres du jury et les spectateurs acclament et injurient à tour de rôle le Cavaliere. A nouveau, les conditions de ces actions et de leurs enchaînements sont laissées dans l’ombre de telle sorte qu’aucun d’entre eux ne puisse être compris selon des lois qui en annihileraient l’indétermination.

Mettre entre parenthèses les circonstances et les raisons pouvant rendre compte de situations de crise revient donc chez Aernout Mik à souligner leur contingence, c’est-à-dire leur enracinement dans une liberté humaine par définition imprévisible.

 

Communitas, Aernout Mik au Jeu de Paume du 01 mars- 08 mai 2011

 


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