Emmanuelle Villard : des paillettes au bord du gouffre

par Lea Bismuth

Artifici Finti #1 et #2

Emmanuel Villard a conçu deux expositions en parallèle : alors que celle de la Galerie des Filles du Calvaire confronte le spectateur à une expérience déroutante, celle de l’Abbaye de Maubuisson est un véritable parcours dans l’œuvre.

L’Abbaye de Maubuisson, perdue au milieu d’une petite forêt, invite au recueillement. Il semblerait que l’artiste ait décidé de prendre cette invitation à contre-emploi puisque son univers en apparence baroque détonne dans ce lieu tout en dénuement cistercien. Cependant, dès l’entrée, un jeu scénographique ménageant des pleins et des vides nous est proposé. Apparaissent d’abord des sculptures géométriques qui font fortement penser aux constructivistes. Mais, c’est comme si Malevitch et Lissitzky avaient décidé de revêtir leurs habits de lumière les plus « disco », puisque les sculptures sont recouvertes de paillettes : citation et paradoxe vont toujours de pair, et l’artificialité n’est pas toujours là où on l’attend. Ainsi, lorsque Villard réalise des collages à partir d’images de bijoux et de joyaux découpés dans des magazines jusqu’à la saturation, elle crée des efflorescences où les pierres précieuses semblent s’unir dans d’étranges formations : des formes animales grouillent, et des pierreries acidulées comme des bonbons finissent par donner le vertige.

Emmanuelle Villard, Vue de l'exposition Artifici finti #2. abbaye de Maubuisson, Site d'art contemporain du Conseil Général du Val d'Oise. Photographies Catherine Brossais

Le clou de l’exposition se trouve dans la « salle des religieuses » dans laquelle les œuvres, entre sculpture et peinture, flottent dans l’espace. Les Objets Visuels — cet « hommage terrifiant à la féminité » — attirent le regard. Ces sculptures sont comme des grappes de formes arrondies s’agglomérant de manière organique. Sur ces boules, de la peinture coule et des colliers de perles s’amoncellent, irrémédiablement attirés par la force de gravité. Ce sont autant de lustres sans lumière, aux formes désirables, obligeant à s’approcher pour mieux voir ce qui se cache dans les replis de ces « chairs ». Le Sphinx de Louise Bourgeois n’est pas loin, cette créature sans tête aux multiples seins. Emmanuelle Villard explique d’ailleurs que c’est en voyant des portrait de femmes du 17 et du 18ème, aux larges décolletés recouverts de bijoux, qu’elle a eu l’idée de ces grappes de seins, de ces renflements attirants et repoussants à la fois. Au côté de ces sculptures, de grandes toiles rondes suspendues et recouvertes de millions de petites perles prouvent que c’est en orfèvre que l’artiste travaille, utilisant exclusivement des matériaux destinés aux petites filles. Le tondo, cette forme de toile ronde, est une référence à la peinture de la Renaissance ; mais ici, tout est en « toc », même les éclats de miroirs disséminés, dans lesquels, malencontreusement, le spectateur se voit, perdu dans cet océan de perles, dont la prolifération peut mettre mal à l’aise.

Dans les dernières salles, on assiste à un apaisement après le débordement puisque des céramiques immaculées, aux formes amollies, clôturent le parcours : le mouvement du tour du céramiste a été suspendu à temps, avant que la terre ne s’effondre. En résultent des formes à l’équilibre précaire, prêtes à être brisées. Car une question taraude l’artiste : comment ne pas sombrer, basculer, face à la débauche consommatrice de nos sociétés ? Sa réponse est claire : se tenir au bord du gouffre, mais ne pas tomber.

Emmanuelle Villard
Galerie des Filles du Calvaire, Paris, du 25 novembre 2011 au 21 janvier 2012
Abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen l’Aumône, du 30 novembre 2011 au 28 mai 2012

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