Claude Lévêque

par Daphne Le Sergent


Claude Lévêque au FRAC Haute-Normandie

Pour son exposition au Frac Haute-Normandie, Claude Lévêque a choisi de faire glisser le paysage de l’extérieur à l’intérieur du Frac. Installé depuis dix ans dans un ancien entrepôt des voies et chaussées rebaptisé « Trafic », ce lieu présente une architecture qui renvoie directement aux larges juxtapositions de rails des gares de triage. Les parois de la salle d’exposition sont à ce titre couvertes de bandes de peinture noire, parfois traversant le mur horizontalement de part en part, d’autres fois croisant d’autre lignes à l’instar de rails marquant une autre direction. Quatre réverbères d’éclairage public viennent souligner la structure de l’architecture et, renversés, les lampes à présent posées au sol, ils forment une croix dessinant le centre imaginé de l’espace, là où la lumière du jour vient frapper.
Dans cette pièce, l’utilisation de la lumière se différencie des grandes installations aux néons de l’artiste : les murs sont enduits d’une couleur bleue que l’artiste a voulu la plus proche possible de celle du ciel de Rouen, presque blanche, laiteuse, perceptible dans l’espace d’exposition au gré de la profondeur atmosphérique. Les ombres portées des poutres du bâtiment viennent se confondre avec les peintures au mur, et finalement c’est ce rythme mis en place dans l’installation qui se substitue aux clignotements lumineux tant prisés par l’artiste.
En confondant intérieur et extérieur, en apprêtant une architecture afin que celle-ci respire avec l’histoire qu’elle véhicule, Claude Lévêque poursuit sa réflexion sur notre rapport au paysage. Dans le rythme qui est ici arboré au fil des bandes noires de peinture, c’est toute la succession des rails défilant au travers la vitre d’un train qui est recherchée. Toute une série d’angles de vues qui se succèdent et qui substituent, au régime visuel de la contemplation, un régime sensoriel. Une fois de plus, et avec le minimalisme qu’on lui connaît, Claude Lévêque nous plonge dans l’espace au travers de sensations qui dépassent le visible. C’est à tout le corps qu’il revient de percevoir. Car si le visible renvoie trop souvent au lisible et au concept, la poly-sensorialité engagée dans ce travail rend compte de l’inscription de l’individu dans le réel, de son enracinement dans le monde et engage ainsi son possible positionnement face au social ou au politique.
Ainsi les réverbères posés au sol semblent interroger la posture icarienne par laquelle un point de vue s’élèverait sur le paysage. Au contraire, le spectateur se voit propulsé au beau milieu de cet environnement artistique comme catapulté en un point indéfinissable du paysage. Il n’y a pas de place juste pour « regarder » une œuvre de Claude Lévêque, tout se déploie dans le parcours et la durée, dans l’accouplement des sensations proposées. L’espace de ses installations n’apparaît-il pas immuable et rigide mais au contraire élastique, tendu à la mesure de son utilisation, réactivé lors de chaque expérience individuelle.

Claude Lévêque
Down the street, 2008
Frac Haute-Normandie
13 septembre-30 novembre 2008

Down the street, installation au Frac Haute-Normandie

Down the street, installation au Frac Haute-Normandie

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