Camille Henrot au Centre d'art le LAIT
par Caroline Engel
L’exposition de Camille Henrot à l’Hôtel de Viviès peut se lire éclairée par des références différentes ; celle des constellations historiques, le prisme du temps et de la mémoire, dans la lignée des théories critiques et du travail de Walter Benjamin notamment.
« Pour ne pas mourir deux fois » puise dans les œuvres présentées à la galerie Kamel Mennour lors d’« Egyptomania ». L’exposition au centre d’art le LAIT se construit ici sur un discours où allers et retours entre temps passés et présents s’entremêlent. Une expérimentation de ce que peuvent être à la fois une révolution, à savoir un retour éternel à un même point, celui-ci ayant pu se modifier légèrement au fil du
temps et la dialectique – qui nous emmène vers un ailleurs réfléchi. Le « tévau » de Camille Henrot, à l’origine monnaie d’échange importante dans les Iles Salomon, constitué de deux spirales ornées de plumes écarlates, remplacées ici par des lampes incendie, renvoie visuellement au symbole de l’infini. Une infinie temporelle – plus que spatiale – qui pourrait être la synthèse ultime de ce discours.
Les objets rassemblés dans l’exposition fonctionnent comme des fragments d’une histoire globale et dont la portée les dépasse. Ils constituent des entrelacs de citations et de contextes différents, d’univers historiques, pourrions-nous dire. Camille fait plus qu’explorer le temps – comme on peut le lire parfois ; il est objet de travail. Cette problématique du fragment apparaît d’autant mieux dans la vidéo haletante « Cynopolis » où le montage occupe une place de choix. C’est lui qui rythme et scande la narration. La vidéo brille par ce séquençage d’images relevées et soutenues par l’incursion d’un son qui déborde pour être omniprésent dans les trois salles.
Tout dans l’exposition renvoie à l’archéologie et à son pouvoir ou sa capacité de mettre à jour des fragments (objets, espaces de vie) qui une fois excavés et investis de sens, contribuent à l’élaboration d’une histoire, qu’elle soit politique, sociale ou culturelle. Camille Henrot place son propos à cet endroit spécifique et l’esthétique est ici celle de la trace sublimée, réappropriée et exposée.
Réappropriation, récupération, utilisation d’objets emblématiques, porteurs de sens dans des contextes donnés. Arrêts sur image et lecture de l’après-coup : sacs plastiques, objets ultra contemporains dévoyés, moulés pour des « Hauts-Reliefs » à l’instar de hauts faits représentés et « éternisés » dans l’Egypte ancienne. On peut reprocher leur accrochage dans la dernière salle qui étouffe un peu la « collection post-historique de silex colorés ».
Deux mystères persistent dans l’exposition : « les cages », suspendues dans la deuxième salle – ensemble produit pour le centre d’art – et les dessins de « sphinx » aimantés sur un tableau dans la dernière. Les cages, pourtant très belles, sonnent comme des pièces rapportées. Intrigantes parce que suspendues et en opposition au lien fort que les autres œuvres entretiennent avec la terre, le sol, voire le sous-sol. Esthétiques et réussies d’un point de vue formel. Elles fonctionnent comme une ponctuation visuelle peu parlante et non comme un contrepoint. Enfin les sphinx de fin de parcours sont une tentative pour l’artiste d’épuisement de la forme. Les dessins démontrent au contraire la démultiplication à l’infini des possibilités de représentation ! D’autant plus si on pense à la portée symbolique à laquelle est associé le sphinx en psychanalyse !
L’exposition de Camille Henrot s’intègre parfaitement à l’architecture de l’Hôtel de Viviès divisé, comme par hasard en trois salles. Dialectique ? Le propos est clair, perçant et séduisant. On ne peut s’empêcher de rapprocher son travail des propos de Walter Benjamin dans Sens Unique : « Les œuvres achevées ont pour les grands hommes moins de poids que ces fragments sur lesquels leur travail dure toute la vie » .
Camille Henrot : « Pour ne pas mourir deux fois »
Jusqu’au 6 septembre, Centre d’art le LAIT, Hôtel de Viviès, Castres
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