Bruno Peinado à Marseille

par Guillaume Mansart

Sans titre, une œuvre de Bruno Peinado

Inaugurée officiellement fin novembre, la commande publique de Bruno Peinado éclaire enfin Marseille après quelques années de suspense. Installée sur le toit de la tour de la Friche la Belle de Mai, l’œuvre veille sur la cité phocéenne et diffuse la bonne parole. Hallelujah.

Il faut dire que Sans titre, Le gris du ciel (puisque c’est l’un des titres de cette pièce aux millions de couleurs) a du vocabulaire et de la tessiture. Composée d’un écran de 18 mètres de long et de 2,40 mètres de haut comprenant lui-même une grille de 72 caissons lumineux s’éclairant par intermittence et pouvant se teinter individuellement, et de manière aléatoire, d’à peu près toutes les couleurs de toutes les gammes chromatiques de la création, l’œuvre adresse son message sans faiblir et semble ainsi tenir lieu de phare dans la ville.

sans titre, le gris du ciel

sans titre, le gris du ciel

Renvoyant directement au panneau lumineux de la scène finale du film de Steven Spielberg, Rencontre du troisième type, l’œuvre de Bruno Peinado annonce d’emblée la couleur et dit son intention de créer du langage. Une langue elliptique, avide et curieuse qui s’invente à chaque instant et s’adresse à l’autre avec conviction. L’interface qui, dans la fiction, sert à communiquer avec les extraterrestres, devient ici, posée sur ce toit haut de cinq étages, une « sculpture signe » qui regarde en direction des voies de chemins de fer menant à la gare Saint-Charles et interpelle les nouveaux arrivants autant que les habitants du quartier. L’infini possible des couleurs mêlées, l’harmonie des contrastes… évidemment, tout cela tient du symbole dans cette ville cosmopolite et métissée. L’œuvre entre furieusement en résonance avec la réalité de Marseille.

Et il y a cette langue inconnue qui s’énonce à coup de lumière et de silence, qui se compose au rythme des teintes qui s’inventent, s’allument, s’éteignent et changent, cette musique visuelle qui joue et tente sans cesse d’établir le contact. Tout s’organise pour faire de cette sculpture en perpétuelle régénérescence un organe vivant. Sans titre, Close Encounters (puisque c’est l’un des autres titres de cette œuvre) obéit à un programme informatique qui fonctionne comme une partition se jouant à différents moments de la journée, ménageant des silences et des apogées, des « levés de soleil » et des séquences staccato

sans titre, le gris du ciel

sans titre, le gris du ciel

L’œuvre de Bruno Peinado fonctionne comme un symbole, le signe de l’ouverture, du dialogue avec les hommes qui débarquent sur cette terre inconnue (planète Marseille). Elle est aussi une langue mystérieuse qui accompagne et signale la volonté d’en finir avec la négation de l’autre. Une sculpture qui n’a rien d’une enseigne et qui prend le soin de s’offrir en discrétion malgré sa taille imposante.

Avec Sans titre, une machine polygame (puisque c’est l’un des autres titres de cette œuvre), Bruno Peinado parvient à infuser la réalité de signes artistiques. Il propose une sculpture active qui contient une parole à décoder sans doute aussi universelle que les signes gravés sur les célèbres plaques de la sonde Pionneer10 et qui tiennent ici lieux de cartels.

Guillaume Mansart

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