Berni Searle, un être au monde

par Camille Paulhan

Fidèle à son engagement féministe et à sa volonté de faire découvrir des artistes de la scène internationale peu connus en France et qui n’appartiendraient pas au dipôle New York/Berlin, le FRAC Lorraine présente cette année une exposition personnelle de l’artiste sud-africaine Berni Searle. La commissaire et directrice du FRAC, Béatrice Josse, a choisi de se concentrer sur la production vidéo de l’artiste, en présentant au public cinq œuvres emblématiques du travail de Searle, un choix déconcertant lorsqu’on sait que cette dernière a aussi réalisé de nombreuses photographies et installations. Il s’agit pourtant moins de cacher un pan de l’activité artistique de Berni Searle que de mettre en avant des œuvres réputées plus difficiles à exposer et à présenter à un public peu habitué à l’art contemporain.

L’ensemble n’est pourtant pas forcément toujours très convaincant ; si les vidéos permettent par leurs courtes durées de parcourir agréablement l’exposition, leur contenu s’avère bien trop souvent grandiloquent voire pompeux. Berni Searle s’intéresse – avec raison – à l’histoire douloureuse de son pays, mais peine à transformer son discours politique autrement qu’avec un certain sens du lyrisme, souvent indigeste. Ainsi, dans la vidéo Moonlight (2010), elle filme depuis le sol différents personnages, hommes noirs et pauvres n’ayant pour autre moyen de subsistance que la récupération de pneus usagés qu’ils laissent brûler. Portée par la magnifique Sonate au clair de lune de Beethoven, cette œuvre ne laisse pas au spectateur de porte de sortie quant à ce qu’il doit y voir. Bien sûr, les images sont belles, des vagues de fumée laissant place à la fin de la vidéo à des vagues de papier crépon bleuté et trempé dans l’eau pour former des volutes aqueuses, à ces hommes qui semblent tenir en laisse leurs pneus sur une terre noire de poussière. La mélancolie inhérente à la sonate, la joliesse des images peut avoir un certain effet anesthésiant, rendant impossible toute réflexion en dehors de celle prévue par l’artiste et portant sur la pauvreté toujours persistante chez les populations noires et métisses en Afrique du Sud, alors même que l’apartheid a été aboli il y a vingt ans.

Bernie Searle, Snow White

De la même manière, la vidéo Mute (2010) présente sur un premier écran des images terribles où il n’y a littéralement rien à voir, que des cendres d’immigrés venus travailler en Afrique du Sud et lynchés puis brûlés par des habitants, éclairées par les torches d’une police impuissante. Ces photographies glaçantes dès lors qu’on connaît leur histoire sont contrebalancées par une vidéo placée sur un second écran, présentant l’artiste en gros plan, pleurant sur fond de croix noires en crépon qui se dissolvent comme des flammes dans de l’eau, dont on aura du mal à comprendre la signification. Avait-on besoin pour évoquer un tel  drame de ce décorum ? Si l’on perçoit bien l’émotion de l’artiste, non feinte, il est difficile de voir le déplacement qui s’opère entre le choc initial de l’événement et le processus créatif, ici transformé en pathos.

Snow White, la vidéo de 2001 qui a fait connaître l’artiste en Europe, est plus captivante que les deux précédentes, malgré son symbolisme un peu littéral. Berni Searle, agenouillée, est recouverte au fur et à mesure de farine, qui adhère à sa peau noire. La scène nous est présentée sur deux écrans, l’un où l’artiste est vue de face, dans un cercle de lumière dramatisant, la poudre blanche tombant sur elle et formant au gré de ses courbes des petits volumes pulvérulents à la surface de sa peau. L’autre projection nous présente la même scène, mais en plongée ; une fois intégralement recouverte, de l’eau s’écoule par le même orifice d’où sortait auparavant la farine, et Searle commence à pétrir ce qui s’apparente à un pain artisanal. Travail sur les origines métisses de l’artiste, peau noire que la société sud-africaine souhaiterait blanchir, corps de la femme instrumentalisé : autant de thèmes tout à fait passionnants mais qui méritent à coup sûr un discours plus fin et moins axé sur des dichotomies trop lisibles.

Les deux dernières œuvres, les moins bavardes de toutes, sont peut-être celles qui donnent envie d’approcher de plus près d’autres travaux de l’artiste. Dans About to forget (2005), Berni Searle use de son matériau de prédilection, le papier crépon, pour le faire se dissoudre lentement dans de l’eau. Des silhouettes découpées dans ce papier rouge disparaissent en formant des volutes colorées ; peu importe finalement de connaître le contexte de création de cette vidéo, et la douleur familiale qui en est à l’origine, puisqu’il s’agit ici d’une métaphore efficace et relativement juste de la disparition, du souvenir qui s’étiole et plus simplement encore, de la mort qui sépare les êtres. En regard de l’engagement politique de Searle, il ne fait nul doute que cette œuvre évoque des questions identitaires fortes, mais ces dernières sont ici exprimées avec plus de grâce et de simplicité.

Bernie Searle, About to forget

Enfin, la vidéo la plus énigmatique, Vapour (2004), vaut amplement que l’on oublie un instant le discours de l’artiste qui l’accompagne : là, une armée de marmites mijote tendrement, couvercles fermés, chacune sur son feu. Deux personnages vont et viennent parmi ces rangées, jusqu’à ce que la fumée envahisse peu à peu l’écran et que l’on découvre les couvercles ôtés. Comme une évocation imagée de l’expression « le feu sous la braise », une forte tension émane de ces images muettes, tout autant qu’une attraction vis-à-vis de cette scène pour le moins insaisissable. Sans se référer explicitement à un événement politique lié à l’Afrique du Sud, cette œuvre semble pourtant être l’une des plus engagées de l’exposition, servi par un lyrisme qui cette fois-ci, semble réellement bouillonner.

 

Bernie Searle, au FRAC Lorraine, du 20 mai  au 18 septembre 2011


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