Alexandre Périgot : Polkapalace

par Patrice Joly

Alexandre Périgot

Avant d’entreprendre la description de cette installation, plutôt de ce dispositif d’exposition, il est nécessaire de rappeler que c’est la première fois que le tout nouveau musée de Bastia – musée d’art et d’histoire – accueille une exposition d’un artiste « contemporain ». Quand bien même il s’agit d’un artiste d’origine corse et que l’ouverture de l’exposition se teintait d’une petite note d’émotion – sur l’air du retour de l’enfant prodigue – ce constat n’est pas anodin : exposer de l’art contemporain reste quelque chose d’assez compliqué dans l’île de beauté, car, hormis le Frac Corse, il n’existe aucune autre structure dédiée ; par ailleurs, cette exposition n’a pu se tenir que dans le cadre et grâce au soutien de Marseille 2013 : ceci pour souligner que toute entreprise d’ampleur dans ce domaine reste dépendante d’un soutien extérieur… Montrer de l’art contemporain en Corse procède donc d’une dimension pionnière dans un territoire relativement vierge de tradition et de culture en la matière, même si la scène contemporaine corse se révèle plus vivace qu’il n’y paraît : ce dont témoigne notamment l’existence de la revue Giallu, créée dans les années 80 par un petit groupe « d’activistes » et de passionnés où apparaissent les noms de Nathalie Heinich ou de Nathalie Ergino faisant leurs premiers pas en tant que critiques d’art. Polkapalace est un dispositif nomade qui a déjà été déployé auparavant à Byalystock en Pologne avec l’invitation de la galerie de l’Arsenal opérant une sélection très ciblée de la scène polonaise. Polkapalace se double d’une autre complexité qui est celui de faire partie de la série des Palaces : après Palaispopeye en 2005 au 3Bis F à Aix en Provence et à la Criée de Rennes, puis Borderpalace en 2007 à la biennale d’Istanbul, Polkapalace s’entend comme une suite de reconfigurations à partir d’un dispositif unique de monstration des œuvres, sur le même principe d’invitation faite à une structure impliquée dans l’histoire de l’art contemporain local.

Alexandre Périgot

Alexandre Périgot, vue de l’exposition au musée de Bastia

Pour renchérir sur ce côté poupées russes, le dispositif reste en place tout au long de l’année en faisant « tourner » deux autres expositions sur ces mêmes cimaises mobiles. La proposition de Périgot pour le musée de Bastia présente une dimension d’hommage assez nette envers le travail effectué par Gabrielle Vitte, galeriste associative qui a réussi à faire venir sur l’île à la fin des années 80 des artistes majeurs de la scène européenne. Parcourant l’installation de Périgot dont la principale spécificité est de mettre en rotation des plateaux sur lesquels sont posées les cimaises, on est étonné de rencontrer des figures aussi connues que celles de Fabrice Gygi ou de Martin Kippenberger qui a séjourné en Corse à l’époque, profitant de l’absence de pression et d’un climat particulièrement accueillant pour y produire de nombreux dessins. Ces derniers possèdent une intensité remarquable et ce mélange de provocation et de virtuosité qui caractérise l’art du dandy de Düsseldorf. Dans ce premier volet bastiais, on a le sentiment que cet assemblage éclectique rassemblant les artistes de la galerie est avant tout le reflet d’une personnalité attachante qui a su fidéliser une petite colonie d’artiste « continentaux » tout en faisant bénéficier de leur présence fertilisante les artistes du cru. Mais cet appel insulaire s’est aussi accompagné d’une série de rapprochements avec les métropoles « d’en face », Nice et Marseille, où « l’exploratrice » comme la nomme Périgot, a su tisser des réseaux où se retrouvent des personnalités de premier plan : Christian Bernard, Olivier Antoine, Axel Huber, etc. Ces mouvements croisés ont réussi à développer une scène locale étonnamment riche et d’une certaine manière, le désir de Gabrielle Vitte de lutter contre une certaine « préférence méditerranéenne » a parfaitement réussi : les jeunes gens que l’on découvre sur les cimaises en mouvement de Périgot se sont retrouvés dans les galeries parisiennes tandis que les artistes du continent prolongeaient leur séjour. Les « carrousels » de l’artiste témoignent de cette nécessité d’un brassage perpétuel des formes et des idées, d’une variation des points de vue et de rapprochements imprévus, comme si la machine de vision qu’il avait mis en place au musée ne faisait que redoubler le travail de la pionnière, sorte de redondance mécanique de ce lent travail de métissage.



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