AD HOC

par Elsa Guigo

La Station, Nice, du 3 octobre 2015 au 3 janvier 2016

AD HOC : d’une manière qui convient, positif.
Se dit d’une personne compétente, parfaitement qualifiée pour la tâche qu’on lui confie.

AD HOC, projet de résidence suivi d’une exposition, imaginé et mis en œuvre par le collectif Culbuto, questionne de nouveaux modes collaboratifs de production d’œuvres tout en s’extrayant d’un cadre curatorial strict. Crée en 2013, Culbuto rassemble six artistes : Aurélien Cornut-Gentille, Paul Le Bras, Vivien Roubaud (résidents de la Station), Mathilde Fages, Guillaume Gouerou et Ugo Schiavi, tous diplômés de la Villa Arson qui s’associent ponctuellement pour développer des projets communs. Ils ont ici invité seize artistes pour un moment de travail en commun suivi d’une exposition. Le projet apparaît en parfaite adéquation avec le modus operandi de la Station, structure associative qui fêtera ses vingt ans en 2016 et dont l’objectif premier est de mettre en place un « espace de possibilités », de concevoir des expositions selon le principe d’une rencontre de pratiques et d’expériences.

Sans angélisme communautaire, AD HOC propose un système de conception et de production de propositions artistiques fondé sur une action collaborative refusant tout commissariat pour privilégier la mise en lumière de l’acte de faire. Pour les artistes y participant, la réflexion sur la forme et la réalisation d’une œuvre d’art définie et démonstrative cède la place à une appétence pour l’exploration des processus, des techniques et des phénomènes naturels reléguant à un second plan le résultat exposé. Entre des affinités esthétiques et un partage de connaissances et d’expériences, le groupe se crée pour se déliter dès la fin du projet.

Vue de l'exposition à la Station.

Vue de l’exposition à la Station.

L’exposition, dense et enthousiasmante, permet d’établir certaines correspondances formelles mais surtout trace des lignes directrices de recherche exprimées sous des formes multiples — installations, maquettes, gouaches, sculptures ou mêmes vestiges d’une œuvre disparue. Ainsi, Juliette Dumas propose une relecture de la peinture abstraite par le biais de métamorphoses naturelles. La peinture se rejoue ici avec un monochrome de glace rivé au mur et aujourd’hui disparu dans la bouche d’évacuation d’eau dans le sol. Ne persistent que certains éléments de visserie, déformés par le poids de la glace défunte. Cette esthétique de l’expérimentation se retrouve dans Concrete de Diane Audéma. Ici encore le monochrome s’impose mais un monochrome de béton cachant une résille de frigo relié à une pompe d’aquarium. Le béton gorgé de sel subit une lente érosion saline. La surface grise du béton se recouvre aléatoirement d’un velours de sel délicat, sorte de marais salant reconstitué. Jeanne Berbinau Aubry, quant à elle, s’intéresse au processus de cristallogenèse avec sa sculpture Cristallisation. Un tube fluorescent se gaine de gemmes irradiants et translucides. L’artiste associe ici le phénomène naturel de la pousse de cristaux et d’une technologie en voie de disparition, le tube néon, voué à être supplanté par les éclairages led. L’attrait pour le mixage se retrouve dans Hot Spot de Donovan Le Coadou qui utilise un nouveau matériau composite thermoformable composé de mycélium, compost de champignon chauffé, puis pressé et moulé. Il en compose ainsi des maquettes d’auvents de station service, vestiges d’une architecture moderniste se mêlant à des matériaux innovants de green design.

Diane Audema

Diane Audéma

Donovan LeCoadou

Donovan Le Coadou

La posture décomplexée de ces artistes face à des techniques délicates et savantes les libère de toutes formes d’une conscience éco-responsable et interroge la vie et la mort des technologies avec une nécessaire modestie devant les phénomènes naturels. Ils kidnappent les procédures de recherche fondées sur des concepts propres au scientifique pour élaborer des bricolages ingénieux sans se limiter à une forme, à un lieu, à une matière ou à une dimension. Devant les bâtiments de la Station, l’arbre Culbuto, sorte de flagship du projet, pourrait en être une bonne illustration : cette sculpture évolutive met en mouvement un palmier Washingtonia de plus de cinq mètres, lesté dans un fond bombé en acier et calé d’une dalle de béton. Gommant ici leur individualité, les six artistes du collectif Culbuto s’effacent au profit de cette unique proposition, seule pièce qu’ils présentent dans l’exposition. Utopie en marche du « faire » sans obligation de sens, contre vents et tempêtes, l’arbre penche, tremble mais ne tombe pas.

collectif Culbuto

collectif Culbuto

collectif Culbuto

 

 

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