Abdelkader Benchamma

par Sebastien Planas

Cachez ce réel que je ne saurais voir:

le dessin et le langage chez Abdelkader Benchamma

On ne se rend pas bien compte, blasés que nous sommes, à quel point la physique actuelle regorge de théories à faire tomber de sa chaise. Pendant que la notion de « réalité » est mise à toutes les sauces ici ou là, les chercheurs en science dures, les vrais, conquièrent au galop les domaines de l’infiniment grand et de l’infiniment bizarre, sans même se demander si la réalité existe. Et si de temps en temps, de grands savants, grandes âmes se penchant vers nous, se lancent encore dans des exercices de vulgarisation, le résultat est pour le coup irréel: distorsions de l’espace et du temps bien sûr, mais surtout théorie des cordes, trous noirs, univers parallèles, énergie noire, etc (1). La réalité, si tant est qu’il y en ait une, ne peut être saisie que par des théories scientifiques impossibles à unifier, contradictoires parfois, bref une science proche de la poésie, à ne pas mettre un Descartes dehors! Alors qu’artiste…

the apparent stability

the apparent stability

Les dessins d’Abdelkader Benchamma puisent dans les impossibilités pour décrire un univers à la fois lyrique et absurde. Les personnages, sans expression, errent dans des mondes sourds où la part belle est faite aux sinkholes, ces trous immenses qui apparaissent sans prévenir dans le sol. Les dessins la plupart du temps monochromes voire noir sur noir, présentent des actions impossibles, ou sans finalité apparente. L’atmosphère interloquée qui s’en dégage n’est pas sans rappeler celle de la Beat Generation, J.Giorno ou Burroughs, ce que A. Benchamma revendique. Les personnages qu’il dessine donnent l’impression d’une absence: ils sont à la croisée de plusieurs mondes, dans un perpétuel ailleurs. Un peu également comme les personnages de Becket, qui fuient tout en restant sur place, la plupart du temps atteints d’une logorrhée qui les confine au silence. D’autres séries de dessins, très grands, montrent plutôt des « paysages »: montages blanches ou noires, vues de très loin, où parfois des chapelets de personnages dérivent lentement vers on ne sait quoi. Cette recherche que partagent parfois Mrzyck et Moriceau est cependant dépouillée de son aspect cynique ou ironique. Pour autant l' »esprit de sérieux » que fuyait Zarathoustra n’est pas non plus au rendez-vous. Il s’agit plutôt de snapshots mentaux d’univers mouvants. Le croisement entre la littérature et le dessin se fait explicite lorsque A. Benchamma réalise de grandes œuvres murales faites de phrases entrelacées, écrites automatiquement, qui, illisibles au final, dessinent des paysages abstraits, qui trouvent leur paroxysme lors d’immenses walldrawings. Le dessin est une forme d’écriture parmi d’autres, et le langage est alors conçu comme un motif. Ce n’est plus l’inconscient qui est structuré comme un langage, mais l’écriture qui s’accumule comme un dessin ! D’autres séries enfin, comme des « tas » de formes informes, illustrent encore le sentiment d’un réel feuilleté, morcelé et fuyant. Ils forcent à une sorte de recueillemen étrange, immédiate, comme une contemplation profonde, primitive et anthropologique, qui appuie la où ça dérange: sur notre zapping intérieur.

Oui

Exposition Memory Time, L'espace des Arts, Colombiers, dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse,2009.Abdelkader Benchamma (plafond), Chourouk Hriech (murs), © A. Benchamma

Né en 1975 et montré pour la première fois dans l’exposition « Draw » (Gal. Agnès B, 2005) puis dans « Nous nous sommes tant aimés » (Collections de Saint Cyprien 2006) A. Benchamma est également représenté par ADN (Barcelona) et F. Luger (Milan). Exposition actuelle printemps de septembre « Là où je suis n’existe pas », au Centre d’art contemporain de Colomiers

(1) Marc Lachièze-Rey Au delà de l’espace et du temps, la nouvelle physique Le Pommier ed. 2003

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