A la surface de l’infini à La Galerie à Noisy

par Patrice Joly

A la surface de l’infini
21 février-18 avril 2009

par Raphaël Brunel

Il plane à la Galerie Noisy-le-Sec un parfum d’oxymore. On y croise main dans la main des termes en apparence aussi contrastés que surface et infini, rigueur formelle et subjectivité. Cette exposition est en effet l’occasion d’interroger l’héritage du monochrome et du minimalisme dans la pratique d’artistes pour la plupart très jeunes. Au formalisme historique, réflexif et objectif, s’adjoint la possibilité d’une lecture narrative, ou du moins interprétative, d’une forme a priori maintenue dans son statut de forme. La neutralité de la surface devient le terrain de toutes les projections, le moyen de passer de l’autre côté du miroir. Elle n’attend plus qu’on la charge et l’incarne d’impressions familières, de mystères et de fantasmes. Loading…(full screen) d’Hugo Pernet donne en cela le ton de l’exposition : sur un monochrome noir se dessine, comme un nuancier de gris, le curseur de rotation d’attente d’un navigateur internet, qui semble dire : soyez patient, quelque chose va apparaître.

Etienne Chambaud

Etienne Chambaud, Le Grand Roman, 2009 Collage, table et chaise en bois Courtesy Galerie Lucile Corty Vue d'exposition à La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec Photo : © Christophe Delory

Cette exposition ne cherche pas à traiter de manière exhaustive des enjeux fictionnels de l’abstraction et se concentre sur l’inquiétante étrangeté, aussi diverse soit-elle, qui se dégage du travail des cinq artistes invités. Elle fonctionne comme autant de mini expositions individuelles dont le contour commun, les échos formels et les singularités se dessinent progressivement.

L’installation vidéo Remote Viewer de Graham Gussin constitue le point de départ de cette réflexion. Tandis qu’il se trouve en Islande, un clairvoyant tente de le localiser et d’établir en temps réel ses actions et ses déplacements. Deux écrans se font face : l’un diffuse les paysages contemplatifs filmés par Gussin et l’autre, le travail de recherche du clairvoyant. Un travelling circulaire autour du medium permet de découvrir une toile noire dans laquelle il semble se projeter pour détecter l’artiste. Référence flagrante au monochrome, elle constitue l’accès à un espace-temps différé et fonctionne comme un écran de télévision sur lequel s’imprimeraient les bribes d’informations à décrypter. Cet élément trouve un écho formel avec le travail très référencé d’Hugo Pernet, notamment avec la série Ultimate Paintings, qui reprend l’accrochage historique d’Ad Reinhardt et ses réflexions sur les limites du visible. La trace cruciforme du peintre américain a cette fois été remplacée par une large bande qui rappelle une image latente sur un écran de cinéma. Il est également question de cinéma dans le travail tautologique d’Etienne Chambaud, en particulier avec Le troupeau du dehors, un monolithe noir et minimal semblable à celui utilisé par Kubrick dans 2001. En l’exposant dans un zoo au milieu de primates, il renverse la citation : le minimalisme influence Kubrick qui influence un artiste aux préoccupations conceptuelles. La boucle est bouclée et la référence déviée : le spectateur voit-il une forme qui lui rappelle l’histoire de l’art ou celle du cinéma ?
L’exposition joue donc de ces petits décalages, de ces formes hermétiques qui semblent avoir quelque chose à révéler, à l’image de Steppe de Becky Beasly, surface réfléchissante qui évoque autant un escalier qu’un piano écrasé prêt à se déplier. Au sous-sol, l’œuvre de Kathrin Sonntag se démarque de cette ambiance minimaliste, pour proposer une série de diapositives en noir et blanc d’influence conceptuelle, faite de rapprochements formels entre des éléments du quotidien et des documents photographiques dont certains retranscrivent des phénomènes paranormaux. Le fantôme du modernisme hanterait-il la Galerie ? A moins que ce ne soit les fantasmes des artistes et des spectateurs qui n’hantent le modernisme.


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