Trisha Donnelly au Mambo de Bologne
« THIS IS NOT INSTITUTIONAL CRITIQUE, THIS IS INSTITUTIONAL NARRATIVE »
Si on connaît désormais la tradition conceptuelle et l’apport de la critique institutionnelle dans le travail de Trisha Donnelly, ce qu’elle en tire d’occurrences fortuites ou de stimulations imperceptibles semble résister aux descriptions analytiques que ces pratiques appelaient. Trisha Donnelly est un peu plus imprévisible que ça. Son travail semble nourri d’une charge irrationnelle, comme issu d’un temps d’avant les Lumières, d’une pensée dite « négative ». Dans son exposition personnelle organisée par Andrea Viliani au MAMbo,
constituée de dessins, de vidéos, de photographies, de pièces sonores et d’interventions architecturales ou sculpturales déplaçant leur propre espace d’apparition, nulle distinction en effet entre ce qui relève de la fable ou du récit historique, de l’événement naturel ou de la simulation, de la légende ou du folklore, du mythe ou de la tradition, de l’observation ou de la spéculation, du sensible ou de l’hypothétique. L’exposition s’est progressivement articulée autour d’une hypothèse, celle d’une narration d’ordre « télévisuelle » à l’échelle de l’institution muséale : manière d’embrasser à la fois le temps et l’espace, leur émission et leur réception, et d’explorer la mécanique qui lie les uns aux autres. En d’autres termes, il est y question de transmission, entendue ici comme une logique machinique, à la manière de celle d’un « arbre de transmission » (l’élément mouvant qui permet à une force motrice d’en devenir une autre). Bruce Hainley évoquait d’ailleurs récemment dans Frog ce que chez Donnelly, les « ondes radio deviennent des ondes de choc » pour conclure que « le séisme est son espace familier » : ici la transmission n’a rien à voir avec une structure de continuité, elle est l’objet d’une brèche où le sens déraille. L’onde radio n’y est pas un vecteur de communication, mais de libre association.
Narration institutionnelle. L’exposition consiste en un ensemble d’opérations de substitution (une chose pour une autre) et de transmission (une chose via une autre) par lesquelles ces choses disparaissent. On pourrait comparer l’exposition à un procédé de balayage numérique d’images trouvées, puis traduites (comme dans une superstructure linguistique) en sculptures, projections et dessins. Car ici les choses ne se donnent pas dans l’immédiateté de leur apparition, mais bien dans le temps différé de leur présence reportée. Le MAMbo se trouve en effet comme hanté par les traces des situations et expériences qui ont généré l’exposition : les canaux qui structurent l’énergie du sous-sol de Bologne, les gisements de marbre de la région, l’invention par Guglielmo Marconi de la transmission radio, le Théâtre Anatomique de l’Archiginnasio de Bologne, ou les perspectives qu’offrent les fenêtres du musée sur les montagnes alentours et qui, modifiées en claustras pour l’occasion, transforment la traversée d’un corridor en expérience stroboscopique du paysage. Comme si l’exposition était déjà là. Comme si elle consistait en une opération archéologique de forage et de recueil de toute l’épaisse couche de signe déposée en elle ou sur elle : l’exposition comme une série de marques qui lui préexistaient. Son expérience est ainsi l’expérience d’un temps rétrospectif. On subtilisera donc encore à Bruce Hainley l’un de ses commentaires : « le corps et l’esprit y rencontrent leur propre absence ». Ici, s’invente une position paradoxale qui est une (télé)vision, entre respect fasciné et irrespect arrogant quant à des formes de croyance qui avaient été reléguées dans le domaine du business de la religiosité ou du culte des disciples : cette croyance irrationnelle en ce que les choses nous disent.
Une telle exposition semble donc faire l’historique d’un espace institutionnel qui était déjà, de fond en comble, écrit. À notre tour donc, de formuler une hypothèse. Si, comme l’affirmait Thierry de Duve, l’idéologie moderne (le XIXe siècle en particulier) a tenu pour le mot « art » celui générique de « peinture » (en considérant la transmissivité des images sur le mode d’un processus continuel), et si on peut dire qu’à leur tour le temps et l’espace des œuvres post-modernes lui ont substitué l’idée toute contextuelle « d’architecture », il semble aujourd’hui, au regard de la pratique de Trisha Donnelly et de nombre d’autres artistes, que ces structures épuisées nous poussent à considérer les motifs d’une telle « écriture » comme le modèle possible du rapport d’une part de ce qu’on doit bien appeler « art » à ses propres contours.
Trisha Donnelly, au MAMbo, musée d’Art moderne de Bologne, du 21 février au 13 avril 2009.
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