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Penser comme une montagne au Creux de l’Enfer à Thiers

par la rédaction

« Penser comme une montagne » est une exposition organisée par le centre d’art Le Creux de l’Enfer, rythmé par le cours tumultueux de la puissante Durolle. Installé dans un ancien bâtiment industriel de la vallée des Usines depuis 1988, à Thiers, il a été labellisé « d’intérêt national » en 2019 et déploie depuis 2021 ses activités dans l’usine du May mis à disposition par la Ville de Thiers. L’exposition se déroule dans ce nouvel espace, dans la commune de Thiers ainsi qu’à Marcoux, au sein de deux institutions du territoire rural et forestier du Livradois-Forez.

Jérôme Dupeyrat & Laurent Sfar, Pleurotus cornucopiae. Piliers factices percés, substrat de pleurotes biologiques, peinture murale, 2023. Collection Institut d’art contemporain
Villeurbanne/Rhônes-Alpes (IAC). Photo : Vincent Blesbois

À Marcoux, l’exposition investit les espaces intérieurs et extérieurs du château de Goutelas, Centre culturel de rencontre qui revisite l’héritage humaniste à l’aune de l’Anthropocène et du thème du droit et de la création. Il s’ouvre pour la deuxième année consécutive à l’art contemporain. 

L’exposition prend pour point de départ le thème de la seconde édition des « Futurs possibles », le festival écologique et prospectif du château de Goutelas, qui s’est intéressé en juin dernier à la question du sol et de la terre. « Penser comme une montagne » est emprunté au titre d’un chapitre de Almanach d’un comté de sable d’Aldo Leopold (1887-1948) qui raconte comment la mort du loup peut conduire au déséquilibre de la montagne en bouleversant son écosystème.
Sophie Auger-Grappin, directrice du Creux de l’Enfer et commissaire de l’exposition, s’inspire de l’ouvrage de Jean-Philippe Pierron, Je est un nous, qui questionne la nature de nos liens avec le vivant, évoquant les cas de penseurs qui ont changé leur mode de vie après une rencontre avec un lieu, un animal, un arbre, pour convoquer des artistes dont la démarche opère un déplacement de point de vue, adoptant celui de la montagne. Une invitation à passer d’une vision anthropocentriste à une autre éco-centriste en développant un système de valeurs centré non plus sur l’humain mais sur la nature.
Au Creux de l’Enfer, deux œuvres de Marinette Cueco, cerclées d’un brin d’ampélopsis servant d’appui à l’artiste pour fixer des fibres de jonc, ouvrent très justement l’exposition. L’artiste travaille à mains nues, en contact direct avec les fibres. Léa Devenelle, familière de la ruralité et des pratiques de la chasse, confectionne un sac à dos à partir d’une peau de chevreuil, invitant à nous pencher sur notre passé lointain de chasseur-cueilleur, à une époque où l’homme ne voulait pas s’approprier le monde mais simplement l’habiter. À l’image du tableau Beach, la peinture de l’artiste néerlandaise Astrid Nobel, dont l’œuvre – restée étonnamment inédite en France – explore la façon dont notre relation à la nature imprègne notre conscience, traduit son attachement à la mer. Avec Pierres d’eau 1, extrait de la série « Chaos » Pierre Minot et Gilbert Gormezano développent une recherche artistique autour de la nature et du corps. Cette démarche n’est pas sans rappeler les performances de Bastien Mignot qui appréhende physiquement les espaces naturels à la recherche d’une écriture chorégraphique, faisant écho à une iconographie cosmogonique. Sa performance dans la rivière de la Durolle donnée lors du vernissage, reste présente dans l’exposition à travers des oeuvres imaginées à la manière d’ex-voto.
Par leur appréciation sensible et poétique du monde, nombre d’artistes contemporains introduisent dans leur pratique des modalités réversibles à la cause environnementale. L’heure est venue de revisiter les usages pour reconsidérer le vivant.

1 L’ouvrage est publié à titre posthume, en 1949. L’auteur y décrit le territoire et les paysages qui forment son environnement immédiat, dans le comté de Sawk au Wisconsin. Il illustre l’idée que l’auteur se faisait d’une éthique de la terre, une relation responsable entre les humains et leur environnement. 
2 Jean-Philippe Pierron, Je est un nous. Enquête philosophique sur nos interdépendances avec le vivant, Actes Sud, 2021, 176 pp.

Bastien Mignot, La terre est sa nourrice, performance inaugurale du cycle « Pour faire les miracles d’une seule chose » le jour du vernissage. Indices de la performance: ruban et pièce textile en coton brodé, 45× 85 cm, 2023. Photo : Vincent Blesbois

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Head image : Marinette Cueco, entrelacs avec bris d’ardoises, (détail) 2019, jonc capité, Ampelopsis, bris d’ardoises Photo : Vincent Blesbois