r e v i e w s

Paul Thek au MAMCO de Genève

par Alain Berland

Paul Thek
MAMCO, Genève jusqu’au 9 juin 2024

Loin des énormes machines institutionnelles, le MAMCO présente une rare exposition du   mythique artiste américain Paul Thek (1933-1988).
Sous le commissariat de Valérie Da Costa, le musée genevois rassemble dans quatre salles et sous quatre thématiques des œuvres issues de collections publiques et privées européennes. 

Figure inclassable de l’art américain de la seconde moitié du XXe siècle, Paul Thek est un artiste que l’on qualifie souvent « d’artiste pour artiste » tant il a échappé aux courants dominants de l’art américain des années 60. Il s’est mis à l’écart de la société américaine, a élu l’Italie, où il a passé quatorze années, comme pays adoption et terminé sa vie comme novice dans un monastère du Vermont avant de mourir du sida à New York en 1988.

Paul Thek : hors limites au MAMCO, Genève © Annik Wetter

L’exposition s’ouvre par la présentation de deux œuvres qui résument le parcours de Paul Thek. La première est un tissu suspendu qui reprend les signes et couleurs du drapeau américain pour représenter une pyramide inversée. Elle a été réalisée pour la première exposition de l’artiste dans une institution américaine, à l’Institute of Contemporary Art de Philadelphie en 1977 (Processions). Le seconde est un bronze de plus de deux mètres de haut conçu en Italie en 1975-76 et intitulé UncleTom’sCabinwithTowerofBabel(from the series « The PersonalEffectsofthePiedPiper »). Toutes deux forment des territoires imaginairesqui nous rappelle que l’artiste a toujours été en exil, circulant entre deux continents et deux cultures.
Dans la seconde salle, on découvre un remarquable ensemble de Technological Reliquaries (Reliquaires Technologiques), des œuvres commencées au début des années 60, qui ont contribué à faire connaître son travail tant leur singularité les a mises à l’écart de ce que l’on pouvait voir dans ces années sur la scène artistique new-yorkaise largement occupée par le pop art et l’art minimal. 
Parmi celles-ci sont exposées les exceptionnelless réalisations : La Corazza di Michelangelo (1963), première sculpture en cire réalisée en Italie ouvrant cette réflexion de l’utilisation de la cire chez Paul Thek, Untitled (from the series « Technological Reliquaries », 1966), l’une des rares colonnes en Plexiglas jaune dans laquelle est enchâssé un morceau de cire proche d’un fragment de chair, le merveilleux autoportrait de l’artiste en plâtre peint et cire pris dans sa boîte de Plexiglas en forme de pyramide à degrés (Untitled (Self-portrait as a Pyramid) (from the series « Technological Reliquaries », 1966-67), ou encore le très spectaculaire moulage en cire de sa main dont les doigts ont été tranchés (Untitled(RightHandOftheDeadHippie) ; Untitled(ThreeFingersoftheDeadHippie, 1967). 
Toutes ces sculptures qui confrontent des matériaux différents (Plexiglas, cire) parlent non seulement de cette opposition du technologique et du religieux, deux aspects irréconciliables pour l’artiste, mais aussi de sa réflexion engagée sur la finitude qui a traversé son œuvre.
Dans une autre salle, des petits bronzes inspirés du conte moral médiéval allemand,  Le Joueur de flûte d’Hamelin, dont les protagonistes sont des enfants et des rats, sont présentés. Paul Thek réinterprète cette légende alors qu’il vit à Rome en 1975-76 dessinant dans ses carnets puis modelant en cire d’étonnants d’objets (bol de cerises, bol du chapelet, tranche de pain…) métaphores pour l’artiste d’une quête de la liberté.

Enfin, la dernière salle réunit des peintures sur une large période de vingt ans, de 1969 à 1988. Y sont montrées celles sur papier journal, notamment peintes sur l’île de Ponza où Paul Thek a séjourné de nombreuses années, support qu’il affectionnait, mais que leur fragilité a rendu rare. Ces œuvres témoignent du rapport extatique qu’il entretenait avec l’île, vivant pleinement avec les éléments, la mer notamment. 

On y découvre également un ensemble très émouvant de ses dernières peintures. Celles-ci portent des phrases qui sont comme des prières : Our Mother, who art (1984), The Soul is in Need for the Spirit (1988). Elles sont autant de créations qui disent la spiritualité et la quête mystique qui ont été au cœur de l’œuvre et de la vie de cette figure singulière de l’art dont on voit peu souvent les œuvres. L’exposition confirme, à un moment où de nombreux acteurs du milieu de l’art confondent œuvre et marchandise, que l’art reste une expérience qui peut vous consumer. 

Paul Thek, Autoportrait 

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Head image : Paul Thek : hors limites au MAMCO, Genève © Annik Wetter