r e v i e w s

Olaf Breuning à la Chapelle du Genêteil

par Antoine Marchand

Olaf Breuning ne respecte rien. Religion, histoire de l’art, anthropologie, tout y passe dans un joyeux et hétéroclite foutoir. Cependant, derrière ses atours potaches, son travail nous interpelle et parvient à dépasser la simple tarte à la crème. En conteur de talent, il plante les éléments d’un décor, installe un cadre narratif, aussi loufoque soit-il. Libre ensuite à chacun d’y projeter ses fantasmes les plus inavouables. Dans ce maelström aussi jouissif que schizophrénique, il existe toutefois quelques éléments récurrents. On retrouve par exemple régulièrement des créatures, difficilement identifiables, réunies en groupe sur un même cliché. En 2002, les différents protagonistes de We only move wehen something changes étaient tous affublés d’un nez rouge, clowns anarchistes perdus dans une atmosphère post-apocalyptique. En 2006, Snowmen réunissait des bonshommes de neige cornus. Enfin, dans Good News Bad News (2008), c’est un groupe uniquement vêtu de feuilles de journaux qui était photographié. Tous semblent appartenir à des tribus, avec leurs rites, leurs codes, leurs identités propres, souvent faites d’un déguisement de fortune, réalisé avec des objets de récupération. Chacun de ces individus s’inscrit et existe bien en tant que membre du groupe, mais perd ainsi toute spécificité.

Can Someone Tell Us…, l’installation présentée à la chapelle du Genêteil, ne déroge pas à la règle. Cette oeuvre trouve son origine dans une action réalisée en 2006 avec des étudiants d’une classe de Varsovie dans laquelle Olaf Breuning enseignait à l’époque. Simplement habillés de cartons sur lesquels étaient inscrites des lettres, ils étaient positionnés de manière à former la phrase « Can someone tell us why we are here ?? », qui revêt immédiatement une connotation religieuse. L’artiste suisse étant sans cesse dans

Olaf Breuning, Can someone tell us..., 2010, vue de l'exposition à la Chapelle du Genêteil

Olaf Breuning, Can someone tell us..., 2010, vue de l'exposition à la Chapelle du Genêteil

l’accumulation, il est logique qu’il ait souhaité prolonger cette première action à Château-Gontier, dans un édifice roman du XIIe siècle. En rejouant cette oeuvre dans une ancienne chapelle, il a en effet trouvé un écrin parfait qui place d’emblée le visiteur en force supérieure, en position de domination face à ces pauvres bougres aliénés. Il peut décider de libérer les malheureux ou les laisser se morfondre dans leurs accoutrements, incapables de s’en échapper, puisque « encartonnés » de la tête aux pieds. Néanmoins, puisqu’il n’existe jamais une seule et unique lecture des oeuvres d’Olaf Breuning, il est plusieurs manières d’aborder cette installation. Ne serait-elle pas une métaphore de notre société, où l’absence de communication et d’échange est aujourd’hui la norme ? Olaf Breuning ne fustige-t-il pas ici notre étroitesse d’esprit, qui nous met des oeillères – en l’occurrence des cartons – et limite notre façon de voir le monde ? Par ailleurs, la dimension performative, essentielle dans Can Someone Tell Us…, évoque immédiatement les danseurs contemporains que sont Alain Buffard (Good Boy, 1998), Boris Charmatz (Con forts fleuve, 1999) et Myriam Gourfink (Contraindre, 2004), qui ont tous expérimenté ces dernières années cette idée du corps contraint, engoncé ou modifié par des attributs extérieurs. On peut également voir dans ce regroupement un clin d’oeil aux fameuses cascades « jackassiennes » ou une référence aux sit-in qui prennent place lors des manifestations. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle bande vient prendre place auprès des Cavewomen (2001), des Bully (1999) et autres Finsterlinge (1997) dans la galerie de portraits que le trublion helvète élabore depuis maintenant une quinzaine d’années et qui sont tous, avec leurs déguisements et leur maquillage à outrance, des produits déviants de nos sociétés contemporaines, où l’apparence prime sur le reste. Olaf Breuning joue en tout cas à merveille de tous ces codes pour mieux les pervertir et nous placer face à nos contradictions.

Olaf Breuning — Can someone tell us…à la Chapelle du Genêteil – Centre d’art contemporain, Château-Gontier du 3 juillet au 29 août 2010