r e v i e w s

Melanchotopia

par Antoine Marchand

au Witte de With, Rotterdam, du 3 septembre au 27 novembre 2011
curateurs : Nicolas Schafhausen et Anne-Claire Schmitz *

Organisée par le Witte de With, lieu de création réputé pour le caractère expérimental de sa programmation, Melanchotopia – un néologisme qui fait référence à la fois à la mélancolie de la cité d’avant la seconde guerre mondiale et à l’utopie de son développement futur – fait le difficile pari de l’incursion de l’art dans l’espace public, en cherchant notamment à répondre à la question suivante : « what makes a city livable? ». Un postulat de départ d’autant plus délicat à envisager dans une ville telle que Rotterdam, dont l’identité n’est pas aussi affirmée que celles d’Amsterdam ou Bruxelles, pour ne citer que les deux grandes métropoles voisines. L’événement se veut donc une tentative de définition de la deuxième ville néerlandaise, en même temps qu’il poursuit la réflexion amorcée lors de la dernière édition de « Skulptur Projekte Münster », manifestation incontournable dès lors que l’on s’intéresse à ces questions. Alors que le statement originel de la grand-messe allemande convoquait la « site-specificity » édictée par Robert Morris dans les années 1960, l’édition 2007 avait cherché à déplacer cette problématique de la spécificité du site vers celle de la « situation-specificity », soit une prise en compte moins d’un site particulier que d’un environnement et d’un contexte plus global. Une tentative qui avait toutefois montré ses limites, la plupart des propositions semblant parachutées dans les rues de Münster sans justement tenir compte de la singularité de leur lieu d’accueil.

Saâdane Afif The Soapbox Speaker of Rotterdamse Centrummarkt, 2011. Courtesy Saâdane Afif et Witte de With, Rotterdam. Photo : Bob Goedewaagen.

 

 

Au outdoor habituellement de rigueur, les commissaires de Melanchotopia ont donc privilégié les incursions dans l’inner city – qu’il s’agisse d’un hall d’hôtel, d’une vitrine de magasin ou d’un supermarché –, permettant une relation plus intime et personnelle à l’œuvre. Un choix qui fonctionne à plein dans les œuvres de Guillaume Bijl ou Monica Bonvicini. Que ce soit les Five Historical Hats (2011) du premier ou le godemiché en verre de Murano (Tears, 2011) de la seconde, leur lieu de monstration – une boutique de vêtements pour hommes un peu désuète pour Bijl, la vitrine d’un sex shop local pour Bonvicini – permet une lecture radicalement différente de celle d’un white cube, puisque nourrie par le contexte si spécifique de ces échoppes. Malheureusement, force est de constater que cette adéquation n’existe que rarement tout au long du parcours de Melanchotopia, les sublimes films de Peter Hutton se diluant dans le lobby du Manhattan Hotel, lieu de passage bien trop impersonnel pour des œuvres aussi fragiles et délicates. Les propositions les plus remarquables sont finalement à chercher dans des projets un peu décalés qui existent plus sporadiquement comme celui de Saâdane Afif pour lequel, chaque jeudi et samedi, jours de marché, un acteur se poste ainsi au milieu de la foule sur une caisse en bois pour lire des poèmes écrits par des amis de l’artiste. S’il parvient parfois à attirer l’attention de certains badauds, il déclame le plus souvent dans l’indifférence générale. Pourtant, cette sculpture publique éphémère interroge subtilement notre rapport à l’autre tout en réhabilitant pour un temps donné l’illustre figure du town crier, mais ne résiste pas à cette mise à l’épreuve du réel. Quant à Lidwien van de Ven, elle investit chaque mercredi les pages de l’hebdomadaire local de Havenloods en y insérant des photographies qui tranchent avec ce que nous voyons habituellement dans les journaux, puisqu’elle préfère photographier le hors-cadre. Ce faisant, elle questionne le statut d’une image d’art, présentée ici dans un contexte radicalement différent en même temps qu’elle renoue avec sa pratique photojournalistique. Au final, Melanchotopia laisse une impression mitigée. En effet, si ses commissaires ont su éviter l’écueil du « Big is beautiful » récurrent de ce type d’événement, privilégiant des propositions plus à même de favoriser la rencontre entre une œuvre et son public, ils ne sont pas parvenus pour autant à résoudre cette difficile – insoluble ? – équation de l’art dans l’espace public. Ces incursions finissent par apparaître artificielles, n’esquissant aucune tentative pleinement convaincante de réponse aux sempiternelles interrogations concernant l’implantation des œuvres ou la validité de ce type d’évènements. Peut-être aurait-il fallu les chercher dans le développement même de la cité néerlandaise, aujourd’hui véritable laboratoire à ciel ouvert sur les questions d’urbanisme, de développement architectural et de vie en communauté ?

 

Melanchotopia, Rotterdam, du 3 septembre au 27 novembre 2011

Curateurs : Nicolas Schafhausen et Anne-Claire Schmitz

Avec : Michael van den Abeele, Saâdane Afif, Harold Ancart, Danaï Anesiadou, Sven Augustijnen, Dirk Bell, Michael Beutler, Guillaume Bijl, Pierre Bismuth, Monica Bonvicini, George van Dam, Thea Djordjadze, Jean-Pascal Flavien, Olivier Foulon, Murray Gaylard, Filip Gilissen, Adam Gillam, Arnoud Holleman, Peter Hutton, Adrià Julià, Leon Kahane, Erik van Lieshout, Minouk Lim, Sarah Morris, Alex Morrison, Kate Newby, Ricardo Okaranza, Henrik Plenge Jakobsen, Nina Pohl, Tomo Savić-Gecan, Markus Schinwald, Slavs and Tatars, Mårten Spångberg, Tobias Spichtig, Nasrin Tabatabai & Babak Afrassiabi, Zin Taylor, Harald Thys & Jos De Gruyter, Octavian Trauttmansdorff, Kostis Velonis, Lidwien van de Ven, Peter Wächtler, Lawrence Weiner.

 


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