r e v i e w s

Marianne Vitale, Bright Dark Future

par Patrice Joly

Le Confort Moderne, Poitiers, du 14 mars au 18 août 2013

Quasiment inconnu en France il y a encore quelques mois, le travail de Marianne Vitale a de fortes chances d’être rapidement repéré par les amateurs de sensations sculpturales fortes. La jeune artiste américaine a en effet déployé au Confort Moderne une série d’oeuvres puissantes et formellement homogènes dans une ambiance que l’on pourrait vite qualifier de post-apocalyptique. Ces oeuvres se ressemblent toutes assez fortement : pièces de bois massives assemblées sommairement pour former des colonnes à l’équilibre précaire, architectures archaïques semblant provenir d’un passé révolu, drôles de petites structures accolées à la va-vite pour former des cercles mystérieux évoquant vaguement des rituels oubliés, amalgames de poutrelles accrochés au mur dessinant des symboles ésotériques; toutes semblent avoir été passées au chalumeau, noircies par d’énormes flammes qui leur donnent l’aspect calciné du charbon de bois. Ce registre formel partagé qui renvoie à l’existence d’une catastrophe lointaine ou tout simplement au passage du temps n’empêche pas de conserver à tous ces rescapés une force indéniable, un peu comme si les traitements infligés aux bris de charpentes, morceaux de pontons et autres fragments d’architectures, n’avaient pas réussi à en venir à bout, comme si les matériaux malmenés avaient résisté vaillamment aux nombreux assauts pour se maintenir debout. Il existe une véritable dimension héroïque dans la sculpture de Marianne Vitale, un héroïsme teinté d’une nostalgie à peine voilée pour une civilisation disparue, reposant principalement sur le bois et une technologie balbutiante, peut-être celle d’une Amérique sylvestre et virginale, non encore « corrompue » par la scientificité moderne : on se croirait dans un roman de Cormac McCarthy, dans une de ces ambiances d’après la fin du monde qu’affectionne le grand écrivain et d’où ne subsistent de la civilisation que les débris brûlés des constructions humaines ayant échappé au grand brasier purificateur et où l’on se demande si la noirceur de l’histoire participe d’une approbation rédemptrice ou bien au contraire d’un apitoiement fataliste. Pour ne pas réduire le travail de l’artiste à une vision millénariste-néo-New Age, très en vogue dans les lettres et le cinéma américains, il faut voir comment elle a su placer l’intégralité de ses sculptures sous la coupe d’une cosmogonie fantaisiste : on a plus l’impression qu’elle se joue de l’hypothèse d’une réhabilitation de cultes oubliés lorsque l’on voit la manière dont elle traite ses pièces, sans aucun apprêt, pour recréer des espèces de Stonehenge ou de Carnac de pacotille. Il semble que ce soit plus l’agencement spatial des monolithes qui l’intéresse, la puissance qui s’en dégage, qu’une quelconque signification rituelle. Par-delà la référence à la mythologie de la conquête de l’Ouest et aux récits qui hantent l’Amérique, de sa fondation jusqu’à nos jours, il est avant tout important de repérer la mise en place d’un vocabulaire proprement singulier qui se déploie de manière pour le moins « virile » (pour reprendre l’étymologie du mot qui renvoie avant tout à la notion de force) : Marianne Vitale s’adresse également à la multitude de ses prédécesseurs, à une scène de la sculpture dominée par la gent masculine mais dans l’altération des oeuvres desquels il serait peut-être un peu rapide de déceler la métaphore d’une communauté disparue ou en voie de disparition… Il est peut-être plus judicieux de voir dans l’utilisation de ces matériaux calcinés, usés, ayant vécu de nombreuses vies, la marque de sédimentations multiples à laquelle tout grand artiste en devenir se doit de faire référence afin, peut-être, de mieux renaître de ce riche terreau.


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