r e v i e w s

Les questions les plus pertinentes le sont parce qu’elles sont sans réponses

par Aude Launay

Review Artissima 17 et Le Castello di Rivoli

C’est donc une nouvelle version d’Artissima qui s’est jouée en ce mois de novembre à Turin, nouvelle puisqu’un nouveau directeur, Francesco Manacorda, en a pris les rênes après le départ d’Andrea Bellini vers la direction du Castello di Rivoli. Reprenant le schéma qui fit son succès d’un programme culturel inséré à la foire, la 17ème édition d’Artissima a quelque peu joué la carte de l’austérité mais aussi de la praticité en en regroupant tous les événements au sein même du Lingotto Oval qui l’accueillait cette année. S’appuyant sur l’existant, c’est-à-dire notamment la section Present Future mise en place en 2007 par Bellini, véritable exposition présentant les choix de jeunes curateurs internationaux, fut inaugurée cette année Back to the Future, sélection parallèle de vingt-quatre artistes particulièrement actifs dans les années 60 et 70 mais désormais un peu délaissés. On y retrouve Dolla, Journiac et Dorothy Iannone, et on y redécouvre la force de l’œuvre d’Anna Maria Maiolino. Cette mission culturelle bien particulière, Artissima la doit au fait que la foire n’est pas née d’une initiative privée mais appartient en nom à la région, la province et la ville de Turin. Seulement, adosser une telle ambition artistique à une fonction commerciale si évidente semble en déranger certains. Pourtant imaginez, entre deux petits achats, assister à un reenactment des Bauhaus Dances d’Oskar Schlemmer créées entre 1925 et 1929, moment d’exception lors duquel des personnages rouge, jaune et bleu incarnent non seulement les couleurs mais les qualités que leur accolait la pensée du Bauhaus, le bleu évoquant la lenteur et le carré, le jaune la vitesse et le triangle, etc. Une métaphysique traduite en mouvements. Mais « l’expérimentation est-elle une stratégie de renouveau viable ? » interroge Manacorda dans l’édito de Palinsesto, l’ouvrage qui fait office de catalogue et de vade-mecum des événements de la semaine Artissima.

Première séance de l’Hypnotic Show à Artissima. Photo : Aude Launay.

Tandis que certains sont à l’œuvre pour repenser le concept de foire, d’autres s’attachent à celui d’exposition. Poursuivant depuis 2007 son projet de l’Hypnotic Show, Raimundas Malasauskas avoue pour cela « prendre le pouvoir hypnotique de l’art au sens littéral. » Invité à programmer une série de sessions au sein d’Artissima, il a ainsi demandé à trois artistes de produire de nouvelles œuvres pour le show : Robert Barry, Dora Garcia et Etienne Chambaud. Des œuvres, ou plutôt des scripts, parce que ces œuvres ne peuvent exister que dans l’esprit des spectateurs. Et c’est là qu’intervient l’hypnotiseur : il traduit les propositions des artistes de manière à ce que l’exposition puisse prendre corps dans notre esprit. Bien évidemment, personne ne visite la même exposition, et c’est là tout l’intérêt de l’affaire. « Les scripts sont des récits très ouverts, aussi abstraits que possible », et jouent bien souvent avec les limites mêmes du projet, ainsi celui de Fabien Giraud qui demandait que lors de l’activation d’un script d’un autre artiste, l’hynotiseur abandonne en plein séance les spectateurs à leur triste sort. Deux catégories de spectateurs se dessinent alors, ceux qui s’attèlent à concevoir leur exposition personnelle et les autres, ceux qui les observent. Les premiers atteignent partiellement le statut d’artiste et/ou de curateur, les seconds se fieront aux descriptions post-transe des premiers. « Ce sont des expositions que je n’ai jamais vues mais que j’ai parfois curatées » ironise Raimundas, tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit aux spectateurs qui se laissent prendre au jeu, mais de créer un espace dans lequel ils peuvent projeter l’exposition qu’ils ont certainement déjà en eux. Cette réflexion sur la part active du spectateur dans la formation de l’exposition, et principalement le travail mental à l’œuvre dans ce cas, est aussi explorée par Adam Carr dans Exhibition, Exhibition au Castello di Rivoli. Présentée dans la Manica Lunga, la longiligne galerie du Castello divisée pour l’occasion en deux parties identiques, cette exposition symétrique joue un display en miroir pour proposer une visite tenant plus de la boucle que du cheminement linéaire. Passée la cimaise centrale, c’est comme si tout recommençait… Ou presque. Exhibition, Exhibition, c’est un peu le jeu des sept erreurs et la pièce qui fait la jonction en est certainement la plus déconcertante et la plus subtile : Mungo Thomson réactualise ici son Back of Photo of Back of Wall de 2002. C’est-à-dire qu’une photo d’une partie de la cimaise centrale est accrochée sur cette même cimaise de manière à recouvrir l’exact endroit de la prise de vue, et qu’au dos de la cimaise, un second tirage de cette photo est encadré pareillement, mais de dos, ne nous laissant voir que le logo de la marque du papier. Fonctionnant comme un statement, elle annonce d’emblée les règles : ce que vous allez voir ressemble à une exposition identique, mais ne l’est pas tout à fait. On retrouve en effet les toujours efficaces Before A Bigger Splash et After A Bigger Splash de Jonathan Monk (2006), Lever (2007), les séries de briques de Claire Fontaine portant les couvertures de Différence et répétition en version anglaise d’un côté du mur, italienne de l’autre et Half Full et Half Empty de Ceal Floyer (1999), ces deux photos exactement similaires d’un demi-verre d’eau, mais aussi des pièces provenant de séries et surtout les photos de Ian Wallace qui exemplifient parfaitement le propos de l’exposition. Images d’un Lawrence Weiner (d’ailleurs aussi présent en tant que tel dans Exhibition, Exhibition) pris dans une exposition au MACBA et cadré de différentes manières de sorte qu’apparaît principalement l’architecture du musée et suffisamment du Weiner pour que l’on puisse l’identifier, elles résument toute l’histoire : l’œuvre regardée est toujours forcément en situation d’exposition et « que ce soit dans les périodes pré ou post-révolutionnaires, durant les phases d’insurrection ou de restauration, chez les avant-gardistes ou les défenseurs des valeurs établies, l’exposition a été et continue d’être décriée comme une forme de présentation qui ne rendrait pas justice à l’essence de l’art »1, alors que faire ?

Jonathan Monk  Separated (Separati), 2002  fotografia strappata, cornice / framed torn photograph  23,4 x 28 x 2 cm / 9 ¼ x 11 x ¾ in.  Courtesy dell’artista e Lisson Gallery, Londra / Courtesy the artist and Lisson Gallery, London

Jonathan Monk,  Separated (Separati), 2002 fotografia strappata, cornice / framed torn photograph 23,4 x 28 x 2 cm / 9 ¼ x 11 x ¾ in. Courtesy dell’artista e Lisson Gallery, Londra / Courtesy the artist and Lisson Gallery, London

1 Katharina Hegewisch « Un médium à la recherche de sa forme, les expositions et leurs déterminations », introduction à L’Art de l’exposition, Editions du Regard, 1998, p.15.

Artissima 17, au Lingotto Oval, Turin, du 5 au 7 novembre 2010

The Hypnotic Show, projet de Raimundas Malasauskas en collaboration avec Marcos Luytens, hypnotiseur, présenté lors d’Artissima 17.

Exhibition, Exhibition, Commissariat : Adam Carr, au Castello di Rivoli, Turin, du 21 septembre 2010 au 9 janvier 2011