r e v i e w s

Latifa Echakhch au Frac Champagne-Ardenne

par Aude Launay

Idéal Standard, Latifa Echakhch

Au sol, des pierres, éparses, dessinent un paysage minimal mais empreint d’une certaine et indéfinissable tension. C’est alors que l’on remarque la forme circulaire autour de laquelle semblent avoir été rassemblées ces pierres. En s’approchant, l’on distingue les points d’impact des cailloux sur le linoléum, ils ont été projetés vers quelque chose, ou quelqu’un, qui a disparu. Stoning, « lapidation » en français, tire son aspect inquiétant tout autant que sa beauté de cette absence centrale. De cette dernière forme de torture à être encore employée comme méthode d’exécution aujourd’hui, il est vrai que l’on ne nous montre presque jamais d’images, et c’est cette interrogation de savoir à quoi pouvait bien ressembler un site après une

Latifa Echakhch

Latifa Echakhch, Stoning, 2010. Vue de l’exposition Le Rappel des oiseaux au Frac Champagne-Ardenne

lapidation qui a mené Latifa Echakhch à penser cette pièce. Bien évidemment ici, c’est un pot de peinture qui a pris la place de la victime avant d’être mis au rebut, mais l’anecdote n’enlève rien à la force de cette vision. Cette manière d’évider de leur charge culturelle les objets de son attention pour les considérer sous un jour purement esthétique est l’une des constantes que l’on relève généralement dans le travail de la jeune artiste, il ne s’agit pourtant pas d’une position aussi marquée. Bien évidemment, à considérer des pièces comme Stoning, mais aussi Frames, ces tapis découpés dont elle n’a laissé que le pourtour, ou Fantasia, ces porte-drapeaux qui ne portent plus rien, on ne peut que souligner leurs qualités formelles, mais il y aussi et surtout une véritable mélancolie à l’œuvre dans le travail de Latifa Echakhch. Souvenons-nous de ce linoléum gravé de dessins du Corbu, Sans titre (Architectures ou Révolutions), présenté lors de la dernière biennale de Lyon, qui importait au cœur de la Sucrière cette douce familiarité du matériau pour mieux en extraire toute l’amertume de l’échec incarné par la notion d’habitat social. Quelque chose d’un romantisme de la ruine habite Le Rappel des oiseaux, l’exposition d’Echakhch, au Frac Champagne-Ardenne, quelque chose qui serait tout entier contenu dans le flacon d’encre sépia renversé sur le sol du premier étage (Untitled (Sepia), 2009), ou encore dans la minuscule théière prête à recevoir l’hypothétique eau de pluie d’une gouttière qui court tout le long de la structure du Frac (Le Thé de Saïd, 2010). S’agit-il de ces discours qui se superposent lorsque l’on fait face à ces objets sur lesquels l’intervention a été minime ? Entre l’objet lui-même et la version décontextualisée qui prend place dans l’exposition, se creuse un espace d’échanges, de discursivité. C’est dans ce vide comme dans toutes les absences signifiées par les œuvres présentées à Reims, que se construit la narrativité propre à l’exposition, que s’engage un récit qui ne raconte rien d’autre que l’effacement du discours. Ne restent alors que des natures mortes, ne subsiste qu’une sensation de perte, de blocage, parfaitement illustrée par Seuils, l’autre pièce « monumentale » de l’exposition – puisqu’à l’échelle d’une salle entière, et pourtant on ne pourrait plus discrète. Seuils est un carré, comme une trappe, un carrefour, formé de quatre seuils de porte standards, soit de 73 cm de large, découpé au cœur d’une moquette noire. Seuils ressemble à une ouverture possible sur autre chose (et pas que sur le lino qui apparaît dans la découpe), mais l’absence des portes en interdit toute fonctionnalité. Ce mètre étalon social qu’est le seuil de porte basique de chez Leroy Merlin, se referme sur lui-même à la manière d’un gag de Tex Avery, nous propulsant dans l’étroitesse de la norme comme si c’était la quatrième dimension. Mais c’est bien dans une hétérotopie au sens foucaldien, « des lieux réels (dans lesquels) tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables » (1) que nous transporte Le Rappel des oiseaux.

(1) Michel Foucault, « Des espaces autres (1967) », in Dits et écrits, 1984.

Latifa Echakhch

Le Rappel des oiseaux

Frac Champagne-Ardenne, Reims

2 avril – 23 mai 2010


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