r e v i e w s

La peinture aporétique

par Aude Launay


Vue de l'exposition Gambaroff, Krebber, Quaytman, Rayne à la Bergen Kunsthall, 2010. Sur la gauche : Nikolas Gambaroff Begin with the End in Mind, 2010. Papier journal sur toile, étagères, tasses à café imprimées. 160 x 61 x 49 cm. Courtesy de l'artiste et galerie Balice Hertling, Paris. Sur la droite : Blake Rayne Untitled, 2010. Acrylique sérigraphiée sur toile de lin teinte, ruban de polyester. 198,1 x 129,5 cm. Courtesy de l'artiste et galerie Miguel Abreu, New York. Photo : Thor Brodreskift.

Vue de l’exposition Gambaroff, Krebber, Quaytman, Rayne à la Bergen Kunsthall, 2010. Sur la gauche : Nikolas Gambaroff Begin with the End in Mind, 2010. Papier journal sur toile, étagères, tasses à café imprimées. 160 x 61 x 49 cm. Courtesy de l’artiste et galerie Balice Hertling, Paris. Sur la droite : Blake Rayne Untitled, 2010. Acrylique sérigraphiée sur toile de lin teinte, ruban de polyester. 198,1 x 129,5 cm. Courtesy de l’artiste et galerie Miguel Abreu, New York. Photo : Thor Brodreskift.

La peinture est toujours déjà indubitablement dubitable.

« Je ne supporte pas ce mot  : je suis un peintre, de fait, ou je suis quelqu’un qui peint. Et c’est là que le problème commence, avec le mot « peinture ». Je préférerais vraiment que ce mot n’existe pas. (…) Le fait est que la peinture est un si petit sujet, cela ne nous dit vraiment rien de ce qui se passe réellement au dehors… » 1 C’est ainsi que Michael Krebber ouvrit en 2003 une conférence sur la peinture qui fit depuis sa fortune. En effet, lorsqu’en 2007 il eut à préparer trois expositions presque concomitantes, il trouva là la solution idéale à une production rapide de pièces : le déjà-là. Il fit donc reproduire, par un peintre en lettres, le texte de son intervention sur quatre-vingt dix toiles préalablement sérigraphiées avec des images extraites de comics français des années soixante. Les toiles furent ensuite mélangées pour brouiller la linéarité du texte et exposées en trois séries de trente. On les retrouve aujourd’hui dispersées çà et là entre stands de foires et expositions collectives, la réflexion qu’elles portaient sur la peinture se muant en d’étranges aphorismes à la lecture entravée par les motifs pop surgissant de la toile. L’exposition sans titre de la Kunsthall de Bergen en présente quelques-unes, non loin d’une toute nouvelle série de Blake Rayne avec laquelle elles partagent quelques similitudes. Les deux artistes pourtant paradoxalement identifiables à leur style mouvant et instable se retrouvent ici sur des pièces où la sérigraphie fait le nid de la dichotomie entre beaux-arts et arts décoratifs, puisqu’elle tient lieu d’élément pictural dans les deux œuvres. Chez Krebber, toute figurative, chez Rayne, on ne peut plus abstraite, elle est chez R.H. Quaytman le point de connexion entre le lieu d’exposition de la peinture, l’histoire personnelle de l’artiste et l’œuvre à venir. Utilisant des photographies pour base de chacune de ses peintures, Quaytman superpose les strates physiques et temporelles sur ses panneaux de bois. Images d’archives dissoutes sous les faisceaux de fines bandes de couleur peintes rappelant un écran RVB mal réglé, reproductions des tranches des panneaux de bois insérées au cœur même de ces nouvelles images, tout concourt à nous perdre entre abstraction et représentation, entre surface et espace. Quant à Nikolas Gambaroff, il malmène la peinture parfois jusqu’à l’abandon de son format traditionnel -primant pourtant encore chez les autres artistes à ses côtés – la compressant sous du film plastique et la laissant ainsi, ligotée à une table dans une position peu enviable. Usant de méthodes de reproduction massive pour produire des œuvres uniques, il va jusqu’à faire imprimer des mugs aux motifs récurrents de ses peintures et les inclure dans des assemblages d’objets divers dans lesquels il encastre ses toiles. Peinture es-tu là ?

Se référant abondamment au fameux texte de David Joselit Painting Beside Itself, les trois curateurs placent leur exposition sous les auspices de sa théorisation de la « peinture transitive »2, pensant le lien principal entre les quatre artistes présentés comme étant l’importance du réseau de références extérieures à la peinture (au sens physique). Une chose est sûre, la peinture a quitté sa visée autotélique pour tenter d’évoquer ce qui se passe au dehors, même si l’histoire de l’art récent en reste l’horizon herméneutique. Oscillant toujours entre doute et théorie, investigations et apories, la peinture reste une question sans réponse, mais peut-être n’y a-t-il « pas de réponse parce qu’il n’ y a pas de question. »3

« Sans contradictions, sans paradoxes y aurait-il une évolution de la peinture et sans évolution une peinture ? »4

1 Extrait d’une conférence de Michael Krebber intitulée « Puberty in Painting », donnée à l’institut d’histoire de l’art de l’Université de Cologne en 2003. « I just can’t stand that word : I am in fact a painter or : I’m somebody who paints. And that’s where the problem starts, with the word « painting ». I would really prefer that word not to exist. (…) The thing is that painting is such a tiny subject, it doesn’t really tell us what’s actually happening out there… »

2 David Joselit, « Painting Beside Itself », October n°130, Automne 2009, pp.125-134.

3 Olivier Mosset dans un entretien avec S. Edouard paru dans le magazine Elite, n°7, novembre 1966.

4 Extrait d’un entretien de Martin Barré avec Catherine Millet, 1974, cité par Erik Verhagen dans le texte du catalogue de l’exposition 91 de Martin Barré à la galerie Nathalie Obadia, Paris, du 4 septembre au 9 octobre 2010.

Gambaroff, Krebber, Quaytman, Rayne, Bergen Kunsthall, du 5 novembre au 22 décembre 2010. Commissariat : Thomas Duncan, Steinar Sekkingstad et Solveig ØvstebØ.