r e v i e w s

Hell’s bells

par Antoine Marchand

Larry Bells

Le terme « confidentiel » n’est certainement pas le plus approprié pour évoquer le travail de Larry Bell, présenté dans les collections des plus grands musées du monde, mais force est de constater qu’il ne jouit pas de la même renommée que ses contemporains Donald Judd ou Dan Flavin. En effet, sans chercher à réécrire l’histoire, il est admis que les artistes « historiques » de cette période sont plus à chercher du côté de la côte Est des États-Unis que de son versant Ouest. Le corpus réuni par Marie de Brugerolle dans l’exposition du Carré d’Art —l’artiste préfère parler de sélection plutôt que de rétrospective — est donc l’occasion de réinsérer la pratique de Larry Bell à sa vraie place dans l’histoire de l’art américain récent, mais également de découvrir des œuvres peu ou pas montrées jusqu’à présent. Membre du fameux mouvement Finish Fetish1, aux côtés de John McCracken ou Craig Kauffman, Larry Bell n’a cessé, depuis la fin des années 1950, de travailler sur les questions de perception, d’illusion optique, se démarquant ainsi de l’art minimal classique auquel on l’a souvent associé. Bien qu’il se soit confronté à la peinture durant ses jeunes années, il s’avère que la surface de la toile ne lui suffit pas.

 

Time Machine, 2002, miroir, chaises, coussins en cuir, dimensions variables. Collection de l’artiste © Larry Bell

L’artiste décide, à la même époque, d’abolir l’angle droit, pourtant figure de base de l’ère moderne. Il commence alors à sortir du cadre et privilégie le verre et le miroir, par conviction – son travail étant « davantage au sujet de la lumière et de la surface qu’au sujet du poids et de la masse » – mais également pour des raisons pratiques. La première salle de l’exposition fait montre de ce moment-charnière du passage de la 2D à la 3D, avec l’insertion progressive d’éléments en verre et en miroir dans ses toiles. On y trouve donc Lil ’Orphan Annie (1960), toile proche de l’Op Art, ou Conrad Hawk (1961), première œuvre dans laquelle le regardeur se trouve inclus, par le biais d’un subtil jeu de reflets. Le parcours se poursuit avec les fameux cubes de verre, emblématiques de sa démarche. Transparents autant qu’opaques, volumes autant que surfaces, ils abolissent la frontière entre peinture et sculpture et jouent des reflets pour nous déstabiliser et « chercher de nouvelles perceptions, en dehors du point de fuite unique de la perspective traditionnelle »2. Ils sont malheureusement réduits à la portion congrue, avec simplement quatre d’entre eux réunis à Nîmes. Et c’est bien là que le bât blesse. Le parti pris de Marie de Brugerolle permet certes de mieux appréhender la démarche de Larry Bell, néanmoins ses redécouvertes prennent ici plus de place que les œuvres majeures, ou considérées comme telles. Ainsi des Mirage paintings des années 1990, compositions de couches de plastique superposées et passées sous presse. Techniquement irréprochables, elles n’ont en aucun cas l’impact et le pouvoir d’évocation des pièces plus anciennes. De la même manière, les recherches photographiques menées par l’artiste depuis le début de sa carrière, des Pink Ladies (1968-1973) à Poker Game (ca. 1970), apparaissent plutôt comme des expérimentations, à l’esthétique très New Age, que comme des œuvres finies. S’il est frustrant de ne pouvoir se confronter dans cette exposition qu’à trop peu de pièces majeures, citons toutefois cette combinaison d’une œuvre historique appartenant au Stedelijk Museum d’Amsterdam (Untitled, 1969) et d’une autre prêtée par MAC de Lyon (First and Last, 1989). Du rapprochement de ces deux œuvres résulte une nouvelle installation, Dutch First and Last, stèle monolithique particulièrement impressionnante.

 

Larry Bell, En perspective, au Carré d’Art, Musée d’art contemporain de Nîmes, du 25 février au 22 mai 2011. Commissariat : Marie de Brugerolle.

 

1 Le terme a d’ailleurs été inventé par des critiques d’art de la côte est, qui voyaient dans la travail de ces artistes un lien évident avec les « hot rods », ces voitures customisées dont raffolaient les jeunes californiens.

2 Marie de Brugerolle, « Larry Bell en perspective », in Larry Bell, Dijon : Les presses du réel, 2010, p. 19